3.
Mais lorsqu’on croit à la justification par la foi et non par les oeuvres, il faut éviter un autre abîme que j’ai signalé. Voyez, me dira-t-on, que c’est par la foi, et non par les oeuvres, qu’Abraham a été justifié, je puis donc vivre à mon gré, n’eussé-je en effet aucune oeuvre sainte, pourvu que je croie en Dieu, cette foi me sera imputée à justice. L’homme qui a tenu ce langage, et a pris cette résolution, est tombé dans l’abîme; s’il n’en a que la pensée, et qu’il soit dans l’incertitude, c’est déjà un danger. Mais la parole de Dieu, bien comprise, peut non-seulement retenir celui qui est près du gouffre, mais en retirer celui qui y est plongé. Je réponds donc pour ainsi dire, à l’encontre de l’Apôtre, et je rapporte d’Abraham, ce que nous lisons dans l’épître d’un Apôtre aussi, qui voulait redresser le sens déplorable que l’on donnait aux paroles de saint Paul. Dans cette lettre, en effet, saint Jacques, voulant réfuter les adversaires des bonnes oeuvres, qui s’appuyaient uniquement sur la foi (Jacques, II, 1), relève les oeuvres d’Abraham, dont saint Paul avait relevé la foi; mais les deux Apôtres ne sont point en contradiction. Saint Jacques rapporte d’Abraham ce que tout le monde connaît, l’immolation d’Isaac; oeuvre sublime, il est vrai, mais oeuvre de foi. J’admire la construction de l’édifice, mais je vois que la foi en est la base. Je loue ce fruit parfait d’une bonne oeuvre, mais je le vois croître sur l’arbre de la foi. Si Abraham faisait cette oeuvre en dehors de la foi, quelle qu’en fût l’excellence, elle lui serait inutile. Si au contraire la foi d’Abraham lui eût fait répondre en lui-même, quand le Seigneur lui commandait le sacrifice de son fils: Je n’obéis point, et néanmoins je crois que Dieu me délivrera en dépit de ses ordres méprisés; sa foi sans les oeuvres n’eût été qu’une foi morte, qu’un arbre stérile et desséché.