25.
« La mort des pécheurs est très funeste1 ». Ecoutez ceci, mes frères, après ce que nous venons de dire. Assurément Dieu est grand, sa miséricorde est grande; il est grand, celui qui nous a donné à manger son corps tout meurtri, et son sang à boire. Comprenez comment il voit les pensées corrompues des hommes qui disent : Cet homme est mort, les bêtes l’ont dévoré ; il n’était pas juste, puisqu’il a péri si misérablement; autrement, eût-il péri de la sorte? Donc celui-li est juste qui meurt chez lui et dans son lit ? C’est encore là ce qui m’étonne, diras-tu, car je connais ses péchés et ses crimes, et toute fois, il est mort paisiblement dans sa maison, dans sa chambre, sans avoir souffert dans ses voyages nullement, pas même dans un âge avancé. Ecoute bien, ô mon frère. « La mort des pécheurs est très funeste ». Cette mort que tu crois heureuse est très mauvaise, au point de vue intérieur. Tu vois extérieurement un homme étendu sur un lit funèbre; mais le vois-tu, des yeux de la foi, entraîné dans l’enfer? Ecoutez, mes frères, et voyez d’après l’Evangile ce qu’il y a de funeste dans la mort des pécheurs. N’y voyez-vous pas deux hommes qui vivaient ici-bas, l’un riche, vêtu de pourpre et de fin lin, et qui faisait chaque jour bonne chère2; l’autre pauvre, étendu à la porte du riche et couvert d’ulcères, et les chiens venaient et léchaient ses ulcères, et il désirait se rassasier des miettes qui tombaient de la table du riche? Il arriva que le pauvre mourut, et ce pauvre qui était juste fut porté par les anges dans le sein d’Abraham. Que ne pouvait dire quiconque avait vu son corps étendu à la porte du riche, sans que personne se mît en peine de l’ensevelir? Ainsi puisse mourir mon ennemi, celui qui m’a persécuté, puisse-je le voir en cet état! On crache sur ce cadavre, la puanteur s’exhale des plaies, mais l’âne repose au sein d’Abraham. Croyons cela, si nous sommes chrétiens; mais si nous ne le croyons, mes frères, ne nous imaginons pas que nous sommes chrétiens. C’est la foi qui nous conduit. Comme le dit le Seigneur, ainsi en est-il. La vérité serait-elle dans les paroles d’un astrologue, et la fausseté dans celles de Jésus-Christ? Mais quelle fut la mort du riche? Comment put-il mourir dans la pourpre et dans le fin lin? Avec quelle pompe et quelle magnificence? Quelles n’étaient pas ses funérailles? Dans quels parfums n’ensevelit-on pas son cadavre? Et pourtant quand il était dans les tourments de l’enter, il désirait ardemment qu’une goutte d’eau tombât, du doigt de ce pauvre jadis méprisé, sur sa lingue desséchée, et il ne l’obtint pas. Apprenez donc ce que signifie: « La mort des pécheurs est très funeste », et ne jetez pas les yeux sur ses lits aux tentures somptueuses, sûr ce cadavre environné de riches broderies, sur uns pompeuses lamentations, sur cette famille en deuil, sur cette foule qui précède et qui suit le corps que l’on porte en terre, sur des cénotaphes d’or et de marbre. Si vous interrogez tout cela, vous n’aurez qu’une réponse mensongère, tout cela vous dira qu’il est beau de mourir, non-seulement pour des hommes légèrement pécheurs, mais pour de grands criminels, quand on a mérité cette pompe des larmes, cette pompe des parfums, cette pompe de parure, cette pompe de cortège, cette pompe de sépulture. Mais interrogez l’Evangile, et aux yeux de votre foi, il découvrira l’âme du riche qui brûle dans les flammes, et que ne peuvent nullement soulager tous ces honneurs, tout ce cortège, dont la vanité des vivants environnait son cadavre.