11.
C’est ainsi que venait à nous un homme du parti de Donat, que les siens avaient accusé et excommunié; il cherchait près de nous ce qu’il avait perdu chez eux. Mais nous ne pouvions le recevoir ici qu’à son rang; car, s’il quittait ce parti, il n’était point irréprochable chez eux, et l’on ne voyait point que sa démarche lui fût dictée par son choix plutôt que par la nécessité. Il ne pouvait donc trouver chez eux ce qu’il cherchait, c’est-à-dire la vaine gloire, le faux honneur, ni trouver chez nous ce qu’il avait perdu chez eux: il en mourut. Son coeur blessé poussait des gémissements; il était inconsolable ; d’invisibles aiguillons lui déchiraient la conscience. Nous avions tenté de le consoler avec la parole de Dieu; mais il n’était pas de ces sages fourmis qui amassent en été de quoi vivre en hiver. Quand un homme est en paix, il doit s’appliquer à recueillir la parole de Dieu, à la cacher dans le fond de son coeur, comme la fourmi abrite dans ses galeries souterraines ses travaux de l’été1. Voilà ce que l’on doit faire pendant l’été; vient ensuite l’hiver ou le temps des afflictions; et si nous ne trouvons en notre coeur de quoi vivre, il faut mourir de faim. Cet homme donc n’avait point recueilli la parole de Dieu, et l’hiver est venu, il n’a point trouvé ici ce qu’il cherchait: on ne pouvait le consoler que par là, et nullement par la parole de Dieu. Il n’avait rien à l’intérieur, et il cherchait à l’extérieur ce qu’il ne trouvait point: les sentiments de la douleur et de l’indignation le dévoraient, son âme était en proie à la plus violente agitation, qu’il cacha longtemps, jusqu’à ce qu’enfin ses gémissements éclatèrent et retentirent même à son insu parmi nos frères. C’était avec la plus vive douleur, Dieu le sait, que nous voyions cette âme si affligée, et devenue la proie de ces tortures, de ces flammes intérieures, de ces déchirements; que vous dirai-je? Ne pouvant se tenir dans un lieu si humble, qui eût pu être pour lui un lieu si salutaire, il nous parut encore mériter l’expulsion. Toutefois, mes frères, nous ne devons point pour cela désespérer des autres, qui pouvaient revenir par amour de la vérité, et non sous l’empire de la nécessité. Bien loin de désespérer des autres, je ne désespère pas même de celui dont je vous parle tant qu’il est en vie: car nous ne devons désespérer d’aucun homme qui est sur la terre. Il était bon de vous faire connaître ces détails, de peur qu’on ne vous les racontât autrement; car un de leurs sous-diacres qui, sans aucune contestation avec eux, a choisi la paix et l’unité catholique et les a quittés pour venir à nous; qui est venu comme en faisant choix de ce qui est bon, et non comme expulsé même par les méchants, a été reçu chez nous et nous a réjouis d’une conversion que nous recommandons à vos prières. Car Dieu est puissant et peut l’améliorer de plus en plus. D’ailleurs, nous ne devons prononcer ni en bien ni en mal sur le sort de personne. Pendant toute notre vie, en effet, notre lendemain est toujours ignoré. « Ils ne seront point confondus au temps mauvais; ils seront rassasiés au jour de la famine, tandis que les pécheurs périront ».
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Prov. VI, 6; XXX, 25. ↩