15.
« Mon coeur s’est troublé1 »; pourquoi s’est-il troublé? « Et ma force m’a trahi ». Souvent je ne sais quoi de soudain vient troubler le coeur : que la terre vienne à trembler, que le tonnerre gronde au ciel, qu’il se fasse un mouvement impétueux, un bruit insolite, que l’on rencontre un lion, alors on se trouble; que des voleurs soient en embuscade, le coeur se trouble, il craint, il est de toutes parts dans l’angoisse. Pourquoi? « Parce que ma force m’a trahi ». Si cette même force me soutenait, qu’aurais-je à craindre? Nulle nouvelle, nul frémissement, nul fracas, nulle chute, rien de ce qui est horrible ne pourrait nous effrayer. D’où vient alors ce trouble? « De ce que ma force m’a trahi ». Et d’où vient cette trahison de mes forces? De ce que « la lumière de mes yeux n’est point avec moi ». Adam n’avait donc plus déjà cette lumière de ses yeux : car cette lumière, c’était Dieu; et après l’avoir offensé, Adam s’enfuit vers les ombrages et se cacha dans les arbres du paradis2. Il redoutait la présence du Seigneur, et il cherchait l’ombre des grands arbres. Déjà dans ces arbres il n’avait plus cette lumière de ses yeux qui avait fait sa joie jusqu’alors. Si donc Adam fut coupable dès l’origine, nous le sommes par naissance; or, ces membres divers viennent se réunir au second ou nouvel Adam, car le nouvel Adam est rempli de l’esprit qui vivifie3; et devenus membres de son corps, ils crient en faisant cet aveu: « La lumière de mes yeux n’est plus en moi »; et déjà, si l’homme est racheté par cet aveu, s’il est incorporé au Christ, la lumière de ses yeux n’est-elle donc point avec lui? Non, elle n’est plus en lui : il peut l’entrevoir encore, comme ceux qui se souviennent du sabbat, comme ceux qui regardent par l’espérance; mais elle n’est point pour eux cette vision dont il est dit: « Je me montrerai à lui4». Il y a bien là quelque lumière, parce que nous sommes enfants de Dieu et que la foi nous y fait croire; mais ce n’est pas encore cette lumière que nous verrons: « Ce que nous serons un jour ne paraît point encore : nous savons que, quand il viendra dans sa gloire, nous serons semblables à lui, et nous le verrons tel qu’il est5». Car à présent la lumière de la foi est la lumière de l’espérance. « Tant que nous sommes dans ce corps, en effet, nous marchons en dehors du Seigneur : car nous n’allons à lui que par la foi, sans le voir tu découvert6». Et tant que nous ne voyons pas ce que nous espérons, nous l’attendons « par la patience7 ». Ce sont là des paroles d’exilés, et non pas d’hommes établis dans la patrie. C’est donc avec raison, c’est avec vérité, et s’il n’use point de déguisement c’est avec sincérité qu’il fait cet aveu: «Lumière de mes yeux n’est point avec moi ». Voilà ce que souffre l’homme dans son âme, en lui-même, avec lui-même; ce qu’il souffre de sa part, ce que nul ne lui fait endurer, si ce n’est lui-même : telle est la peine qu’il s’est attirée, et que nous avons définie tout à l’heure.