12.
Car enfin je vais te mettre en cause avec tes enfants. Tu passeras, et tu amasses pour ceux qui passeront, ou plutôt, tu passes, et ils passent aussi. Car j’ai dit: Tu passeras, comme si maintenant tu étais stable. Aujourd’hui même, depuis le commencement de mon discours jusqu’à présent, sais-tu que nous avons vieilli? Tu ne remarques pas l’insensible accroissement de tes cheveux ; et maintenant que tu es debout ici, occupé de quelque affaire, lorsque tu parles, les cheveux croissent sur ta tête : car ce n’est pas un accroissement subit qui t’a fait chercher le perruquier. Le temps s’écoule donc toujours avec rapidité, soit qu’on s’en aperçoive, soit qu’on n’y prenne pas garde, soit qu’on s’occupe malencontreusement d’autre chose. Tu passes donc, et tu conserves pour ton fils qui passe. Je te demanderai tout d’abord : Es-tu bien assuré qu’il possédera ce que tu lui as gardé ? S’il n’est point encore né, es-tu certain qu’il naîtra? Tu conserves donc pour tes enfants, et tu ne sais ni s’ils naîtront, ni s’ils posséderont : et tu ne mets pas ton argent où tu devrais le mettre. Car ton Seigneur ne donne. rait pas à son serviteur le conseil de perdre son argent. Tu es le riche serviteur d’un père de famille de distinction. C’est lui qui t’a donné ce que tu aimes, ce que tu possèdes, et il ne veut point que tu perdes ce qu’il te donne, lui qui doit se donner à toi. Mais, dis-je, il ne veut pas même que tu perdes ce qu’il t’a donné pour un temps. Tu as de grands biens, des biens en abondance, qui dépassent de beaucoup tes nécessités : c’est là un superflu ; même en ce cas, je ne veux pas que tu en perdes quelque peu, dit le Seigneur ton Dieu. Et que ferai-je? Change-les de place, celle où tu les a mis n’est pas sûre. Assurément tu veux être l’esclave de ton avarice : mais vois que mon conseil peut bien être d’accord avec cette avarice même. Tu veux en effet posséder ce que tu as, et non le perdre:je te montre le lieu où tu dois le placer. N’amasse point sur la terre, où tu ne sais pour qui tu amasses des richesses, ni quel usage ensuite en fera celui qui les possédera, et en sera le maître. Peut-être est-ce un homme ruiné qui les possédera, et qui ne pourra tenir ce que tu lui auras laissé. Peut-être les perdras-tu avant l’arrivée de celui pour qui tu les conserves. Contre toute sollicitude, voici le conseil que je te donne : « Amassez-vous des trésors dans le ciel1». Si tu voulais conserver des richesses ici-bas, tu chercherais quelque coin dans ton grenier; peut-être dans ta maison craindrais-tu tes domestiques, et confierais-tu ton trésor à quelque banquier : car chez lui un accident n’est pas facile, on n’y redoute point le voleur, tout y est bien gardé. Pourquoi ces pensées dans ton âme, sinon parce que tu n’as pas de meilleur endroit pour conserver tes richesses ? Mais si je t’en indiquais un autre ? Je te dirai donc: Ne va pas confier ton argent à ce banquier peu solvable, mais il en est un plus sûr, donne-le-lui : il a de vastes greniers où tes richesses ne se peuvent détériorer; il est plus riche que tous les riches. Mais, me répondras-tu, comment oser m’adresser à un tel homme? Et si lui-même t’y engage? Eh bien ! reconnais-le enfin ; il n’est pas seulement un père de famille, nais il est encore ton maître. Je ne veux pas, dit-il, ô mon serviteur, que tu perdes ton argent, mais voici où tu dois le placer : pourquoi le mettre où tu pourrais le perdre, et si tu ne l’y perds, où tu ne peux toi-même demeurer toujours? Il est un autre lieu où je dois t’appeler; que ton bien t’y précède ; ne crains pas de le perdre. C’est moi qui te l’ai donné, c’est moi qui en serai le gardien. Voilà ce que te dit ton Seigneur: interroge ta foi, et vois si tu veux croire en lui. Tu me diras peut-être: Je regarde comme perdu ce que je ne vois pas; c’est ici que je veux voir tout cela. Mais en voulant le voir ici-bas, d’abord tu ne l’y verras point, et tu n’auras rien là- haut. Tu as dans la terre je ne sais quels trésors cachés, et en marchant tu ne les portes pas avec toi. Tu viens entendre un sermon, pour amasser des richesses intérieures, et tu l’occupes des extérieures; les as-tu donc apportées ici avec toi ? Tu ne les vois pas même à présent. Tu crois les avoir chez toi, parce que tu sais que tu les y a déposées; sais-tu si tu ne les as pas perdues? Combien sont rentrés chez eux sans y retrouver ce qu’ils y avaient entassé ! Voilà peut-être que la crainte saisit les coeurs des avares, et parce que j’ai dit que beaucoup n’avaient souvent point retrouvé en rentrant chez eux ce qu’ils y avaient laissé, chacun s’est dit dans son âme : A Dieu ne plaise ! ô Evêque, souhaitez-nous mieux, priez pour nous; Dieu nous en garde ; à Dieu ne plaise qu’il en soit ainsi; je crois que Dieu me fera trouver chez moi ce que j’y ai laissé. Tu crois en Dieu, dis-tu, mais ne crois-tu pas aussi à Dieu ? Je crois, en Jésus-Christ, que je retrouverai en sûreté chez moi ce que j’y ai laissé, que nul n’en approchera, que nul ne l’enlèvera. Tu veux avoir dans ta foi en Jésus-Christ une garantie contre les pertes de ta maison; mais cette foi au Christ sera une garantie plus sûre encore, si tu mets tes richesses où il te conseille. Auras-tu donc de la confiance en ton serviteur et des doutes pour ton maître, de la confiance pour ta demeure, des doutes pour le ciel? Mais, diras-tu, comment placer mon argent dans le ciel? Je t’ai donné ce conseil, place-le où je te dis. Comment arrivera-t-il au ciel, je ne veux point que tu le saches. Place-le entre les mains des pauvres, donne-le aux- indigents, que t’importe la manière dont il parvienne au ciel? Moi qui le reçois, ne saurai-je pas l’y envoyer? As-tu donc oublié cette parole : « Ce que vous avez fait au moindre des miens, c’est à moi que vous l’avez fait2 ? » Voilà quelqu’un de tes amis qui a des souterrains, des citernes; et quand tu cherches des vaisseaux pour y conserver des liquides, soit du vin, soit de l’huile, et remiser ainsi tes récoltes pour les conserver, s’il venait te dire: Je te les conserverai; mais s’il avait des canaux dérobés, des conduits, par lesquels s’épancherait secrètement ce que tu verserais à découvert, et qu’au moment où il dit: Verse là ce que tu as, tu visses bien que tel n’est pas l’endroit où tu croyais verser, tu hésiterais alors d’épancher tes liquides. Mais lui qui connaît les secrètes ouvertures qu’il a ménagées dans ses citernes, ne te dirait-il pas: Verse sans crainte, cela passera dans la citerne; tu ne vois pas comment, mais compte sur moi qui ai fait ces routes? Or, celui qui a fait toutes choses, nous a fait à tous des demeures : il veut que nous y fassions passer nos richesses, de peur que nous ne les perdions en terre. Mais quand tu les auras conservées sur cette terre, dis-moi, pour qui les amasses-tu? Tu as des enfants; comptes-en un de plus et donne une part au Christ. « Il thésaurise et ne sait pour qui sont ses trésors, il se trouble en vain ».