CHAPITRE XXII. LA CONTINENCE AVANT ET DEPUIS JÉSUS-CHRIST.
27. Il est donc certain que, sous l'ancienne loi, qui suivit l'ère des patriarches, quand la malédiction avait été portée contre ceux qui restaient sans postérité en Israël1, celui qui ne pouvait garder la continence ne le montrait pas, tout en possédant ce pouvoir. Mais depuis que la plénitude des temps est accomplie2, depuis qu'il a été dit: « Que celui-là « comprenne, qui peut. comprendre », désormais et jusqu'à la fin du monde, celui qui en a le pouvoir agit en conséquence; mais que celui qui ne veut pas user de ce pouvoir, ne doit pas dire faussement qu'il le possède. 3
Cependant c'est sous ce règne de Jésus-Christ que nous voyons des hérétiques corrompre les bonnes moeurs par des discours mauvais', faire appel à une ruse aussi vaine que téméraire et dire au chrétien qui veut garder la continence et refuse le mariage: Es-tu donc meilleur qu'Abraham ? Qu'à ces paroles le chrétien ne se trouble pas ; qu'il évite de répondre qu'il se croit meilleur, mais qu'il ne renonce pas à sa résolution ; car autant sa réponse serait fausse, autant son action serait blâmable. Qu'il se contente de dire: Il est vrai que je ne suis pas meilleur qu'Abraham, mais je sais aussi que la chasteté virginale l'emporte sur la chasteté conjugale. Dans ses oeuvres Abraham n'avait que la dernière, mais dans son coeur il les avait toutes les deux. Car sa vie conjugale fut extrêmement chaste; il aurait pu conserver la chasteté virginale, mais les circonstances s'y opposaient. Quant à moi, il m'est plus facile de renoncer au mariage dont usa Abraham, que d'user du mariage comme il en usa. Voilà pourquoi, si je suis meilleur que ceux qui, vu l'incontinence de leur coeur, ne peuvent pas ce que je puis; je ne vaux pas mieux que ceux qui, à raison de la différence des temps, n'ont pas fait ce que je fais. Car ce que je fais aujourd'hui ils l'auraient mieux fait que moi, si le temps en eût été venu ; et ce qu'ils ont fait, je ne le ferais pas aussi bien, s'il me fallait le faire.
Toutefois se rencontre-t-il quelqu'un qui se sente et se connaisse assez pour conserver intacte dans son coeur la vertu de continence, si pour accomplir un devoir de religion il était contraint d'entrer dans le mariage, et pour être père et mari comme l'était Abraham? A cette demande captieuse qui lui est faite, qu'il ne craigne pas de répondre: Il est vrai, je ne suis pas meilleur qu'Abraham, même sous le rapport de la continence qu'il possédait réellement quoiqu'invisiblement, mais je puis lui être comparé puisque je possède la même vertu tout en menant un autre genre de vie. Qu'il tienne hardiment ce langage; car en y glorifiant le don qui lui est fait, il n'est point insensé puisqu'il dit la vérité. Si néanmoins il prend des ménagements, de crainte qu'on n'ait de lui une estime exagérée4, qu'il évite de se mettre lui-même en jeu, qu'il parle, non pas de la personne mais de la chose même, et qu'il affirme qu'on ressemble à Abraham, quand on peut ce qu'il a pu. Mais il peut se faire que la vertu de continence se trouve à un moindre degré dans l'âme de celui qui n'use pas du mariage que dans Abraham qui en a usé ; je ne crains cependant pas d'ajouter que cette continence est encore plus grande cri lui qu'elle ne l'est dans celui qui s'est résigné à la chasteté conjugale, parce qu'il ne pouvait en faire davantage.
A son tour, que la vierge qui rapporte toutes ses pensées a Dieu, afin de se rendre sainte de corps et d'esprit5, quand elle s'entendra faire cette impudente question : « Es-tu donc meilleure que Sara? » réponde sans crainte: Je suis meilleure que celles qui n'ont pas ma vertu de continence, mais je ne crois pas que Sara soit de ce nombre, car avec cette vertu elle a agi comme l'exigeait son époque. Quant à moi je ne suis pas soumise à cette nécessité, et je puis réaliser dans mon corps la vertu. qu'elle ne conservait que dans son coeur.