CHAPITRE VIII. LE DIVORCE CHEZ LES GENTILS ET CHEZ LES JUIFS. LE MARIAGE EST UN BIEN, QUOIQUE MOINDRE.
Il n'en est point ainsi du mariage parmi les nations païennes. Chez elles, par le fait seul de la répudiation, et sans que la justice humaine s'en occupe aucunement, la femme peut épouser un autre mari, et réciproquement. Moïse, de son côté, cédant à la dureté des Israélites, semble leur avoir permis quelque chose de semblable en les autorisant à donner le libelle de répudiation1. Et en cela je trouve plutôt la condamnation que l'approbation du divorce.
8. « Le mariage doit donc être honorable en « tout et le lit nuptial immaculé2 ». En disant que le mariage est bon en lui-même, nous ne parlons pas d'une bonté relative, comparativement à la fornication; autrement mariage et fornication ne seraient que des maux, dont l'un seulement serait plus grand que l'autre. Ou bien la fornication serait bonne parce qu'elle est un moindre mal que l'adultère, puisque c'est une plus grande faute de violer le mariage d'autrui, que de s'attacher à une concubine. L'adultère, à son tour, serait bon , parce qu'il est un moindre mal que l'inceste , car souiller sa mère est un plus grand crime que de violer une femme étrangère ; ainsi de suite, en descendant jusqu'à ces hontes que l'Apôtre défend de nommer, tout sera bon , comparé à ce qui est pire3. La fausseté d'un tel raisonnement est évidente. Le mariage et la fornication ne sont pas deux maux, dont l'un serait plus grand que l'autre. Au contraire le mariage et la continence sont deux biens, dont l'un est supérieur à l'autre. De même , la santé et l'état de souffrance ne sont pas deux maux, dont l'un serait plus grand que l'autre, tandis que la santé et l'immortalité sont deux biens, dont l'un est supérieur à l'autre. Enfin la science et la vanité ne sont pas deux maux, à condition que celui-ci soit le plus grand ; mais la science et la charité sont deux biens , celle-ci l'emporte sur la première. « La « science sera détruite», dit l'Apôtre, et cependant elle est nécessaire en cette vie; « quant à la charité elle ne tombera jamais4 ».De même cette génération mortelle qui est le but du mariage, disparaîtra, tandis que la continence qui est ici-bas un commencement de vie angélique, restera éternellement.
De même donc que les jeûnes des pécheurs sont moins méritoires que les festins des justes, de même le mariage des filles fidèles l'emporte sur la virginité des filles qui n'ont pas la foi. Toutefois, dans ces hypothèses, ce n'est pas le festin que nous préférons au jeûne, mais la justice au péché ; ce n'est pas le mariage que nous préférons à la virginité, mais la foi à l'impiété. Enfin si les justes mangent quand il en est besoin, c'est afin de se montrer bons maîtres à l'égard du corps leur esclave , et de lui accorder ce qui est juste et équitable , tandis que le jeûne des pécheurs sacrilèges tourne directement au service des démons. De même si les filles fidèles se marient, c'est pour avoir, avec leurs époux, des relations chastes et modestes, tandis que dans une fille païenne la virginité est une véritable fornication contre le vrai Dieu. Marthe, en servant les saints , faisait une bonne action ; mais Marie faisait encore mieux en se prosternant aux pieds du Seigneur et en recueillant sa parole5. Nous louons en Suzanne la chasteté conjugale6; mais en cela même elle est inférieure à Anne la veuve, et surtout à la Vierge Marie7. Les femmes qui, sur leur fortune, fournissaient le nécessaire à J.- C. et à ses disciples, faisaient bien; mais ceux-là faisaient mieux encore qui renonçaient à tout pour suivre plus facilement le Sauveur. Or, dans toutes ces circonstances, et ceux qui abandonnaient tout et ceux qui imitaient Marthe et Marie, ne pouvaient aspirer à un état plus parfait qu'en quittant l'état moins parfait. D'où il suit que le mariage ne doit pas être considéré comme un mal, bien que dans le mariage on ne puisse pratiquer ni la chasteté viduelle ni l'intégrité virginale. De même les fonctions de Marthe n'étaient pas mauvaises, bien que sa soeur, si elle l'eût imitée, n'aurait pas fait ce qui était mieux. Enfin ce n'est pas un mal de donner l'hospitalité à un juste ou à un prophète, bien qu'on ne doive point avoir de maison , quand on veut suivre Jésus-Christ jusqu'à la perfection.