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La cité de dieu
CHAPITRE XII.
QUE LES AGITATIONS DES HOMMES ET LA GUERRE ELLE-MÊME TENDENT A LA PAIX, TERME NÉCESSAIRE OU ASPIRENT TOUS LES ÊTRES.
Quiconque observera d’un oeil attentif les affaires humaines et la nature des choses reconnaîtra que, s’il n’y a personne qui ne veuille éprouver de la joie, il n’y a non plus personne qui ne veuille goûter la paix. En effet, ceux mêmes qui font la guerre ne la font que pour vaincre, et par conséquent pour parvenir glorieusement à la paix. Qu’est-ce que la victoire? c’est la soumission des rebelles, c’est-à-dire la paix. Les guerres sont donc toujours faites en vue de la paix, même par ceux qui prennent plaisir à exercer leur vertu guerrière dans les combats; d’où il faut conclure que le véritable but de la guerre, c’est la paix, l’homme qui fait la guerre cherchant la paix, et nul ne faisant la paix pour avoir la guerre. Ceux mêmes qui rompent la paix à dessein n’agissent point ainsi par haine pour cette paix, mais pour en obtenir une meilleure. Leur volonté n’est pas qu’il n’y ait point de paix, mais qu’il y ait une paix selon leur volonté. Et s’ils viennent à se séparer des autres par une révolte, ils ne sauraient venir à bout de leurs desseins qu’à condition d’entretenir avec leurs complices une espèce de paix. De là vient que les voleurs mêmes conservent la paix entre eux, afin de la pouvoir troubler plus impunément chez les autres. Que s’il se trouve quelque malfaiteur si puissant et si ennemi de toute société qu’il ne s’unisse avec personne et qu’il exécute seul ses meurtres et ses brigandages, pour le moins conserve-t-il toujours quelque ombre de paix avec ceux qu’il ne peut tuer et à qui il veut cacher ce qu’il fait. Dans sa maison, il a soin de vivre en paix avec sa femme, avec ses enfants et avec ses domestiques, parce qu’il désire en être obéi. Rencontre-t-il une résistance, il s’emporte, il réprime, il châtie, et, s’il le faut, il a recours à la cruauté pour maintenir la paix dans sa maison, sachant bien qu’elle n’est possible qu’avec un chef à qui tous les membres de la société domestique soient assujétis. Si donc une ville ou tout un peuple voulait se soumettre à lui de la même façon qu’il désire que ceux de sa maison lui soient soumis, il ne se cacherait plus dans une caverne comme un brigand; il monterait sur le trône comme un roi. Chacun souhaite donc d’avoir la paix avec ceux qu’il veut gouverner à son gré, et quand un homme fait la guerre à des hommes, c’est pour les rendre siens, en quelque sorte, et leur dicter ses conditions de paix.
Supposons un homme comme celui de la fable et des poètes1, farouche et sauvage au point de n’avoir aucun commerce avec personne. Pour royaume, il n’avait qu’un antre désert et affreux ; et il était si méchant qu’on l’avait appelé Cacus, nom qui exprime la méchanceté2. Près de lui, point de femme, pour échanger des paroles affectueuses; point d’enfants dont il pût partager les jeux dans leur jeune âge et guider plus tard l’adolescence ; point d’amis enfin avec qui s’entretenir, car il n’avait pas même pour ami Vulcain, son père : plus heureux du moins que ce dieu, en ce qu’il n’engendra point à son tour un monstre semblable à lui-même. Loin de rien donner à personne, il enlevait aux autres tout ce qu’il pouvait; et cependant, au fond de cette caverne, toujours trempée, comme dit le poète3, de quelque massacre récent, que voulait-il? posséder la paix, goûter un repos que nulle crainte et nulle violence ne pussent troubler. Il voulait enfin avoir la paix avec son corps, et ne goûtait de bonheur qu’autant qu’il jouissait de cette paix. Il commandait à ses membres, et ils lui obéissaient ; mais afin d’apaiser cette guerre intestine que lui faisait la faim, et d’empêcher qu’elle chassât son âme de son corps, il ravissait, tuait, dévorait, ne déployant cette cruauté barbare que pour maintenir la paix entre les deux parties dont il était composé ; de sorte que, s’il eût voulu entretenir avec les autres la paix qu’il tâchait de se procurer à lui-même dans sa caverne, on ne l’eût appelé ni méchant ni monstre. Que si l’étrange figure de son corps et les flammes qu’il vomissait par la bouche l’empêchaient d’avoir commerce avec les hommes, peut-être était-il féroce à ce point, beaucoup moins par le désir de faire du mal que par la nécessité de vivre. Mais disons plutôt qu’un tel homme n’a jamais existé que dans l’imagination des poètes, qui ne l’ont dépeint de la sorte qu’afin de relever à ses dépens la gloire d’Hercule. En effet, les animaux mêmes les plus sauvages s’accouplent et ont des petits qu’ils nourrissent et qu’ils élèvent; et je ne parle pas ici des brebis, des cerfs, des colombes, des étourneaux, des abeilles, mais des lions, des renards, des vautours, des hiboux. Un tigre devient doux pour ses petits et les caresse. tin milan, quelque solitaire et carnassier qu’il soit, cherche une femelle, fait son nid, couve ses oeufs, nourrit ses petits, et se maintient en paix dans sa maison avec sa compagne comme avec une sorte de mère de famille. Combien donc l’homme est-il porté plus encore par les lois de sa nature à entrer en société avec les autres hommes et à vivre en paix avec eux! C’est au point que les méchants mêmes combattent pour maintenir la paix des personnes qui leur appartiennent, et voudraient, s’il était possible, que tous les hommes leur fussent soumis, afin que tout obéît à un seul et fût en paix avec lui, soit par crainte, soit par amour. C’est ainsi que l’orgueil, dans sa perversité, cherche à imiter Dieu. Il ne veut point avoir de compagnons sous lui, mais il veut être maître au lieu de lui. Il hait donc la juste paix de Dieu, et il aime la sienne, qui est injuste ; car il faut qu’il en aime une, quelle qu’elle soit, n’y ayant point de vice tellement contraire à la nature qu’il n’en laisse subsister quelques vestiges.
Celui donc qui sait préférer la droiture à la perversité, et ce qui est selon l’ordre à ce qui est contre l’ordre, reconnaît que la paix des méchants mérite à peine ce nom en comparaison de celle des gens de bien. Et cependant il faut de toute nécessité que ce qui est contre l’ordre entretienne la paix à quelques égards avec quelqu’une des parties dont il est composé ; autrement il cesserait d’être. Supposons un homme suspendu par les pieds, la tête en bas, voilà l’ordre et la situation de ses membres renversés, ce qui doit être naturellement au dessus étant au dessous. Ce désordre trouble donc la paix du corps, et c’est en cela qu’il est pénible. Toutefois, l’âme ne cesse pas d’être en paix avec son corps et de travailler à sa conservation, sans quoi il n’y aurait ni douleur, ni patient qui la ressentît. Que si l’âme, succombant sous les maux que le corps endure, vient à s’en séparer, tant que l’union des membres subsiste, il y a toujours quelque sorte de paix entre eux; ce qui fait qu’on peut encore dire : Voilà un homme qui est pendu. Pourquoi le corps du patient tend-il vers la terre et se débat-il contre le lien qui l’enchaîne? C’est qu’il veut jouir de la paix qui lui est propre. Son poids est comme la voix par laquelle il demande qu’on le mette en un lieu de repos, et, quoique privé d’âme et de sentiment, il ne s’éloigne pourtant pas de la paix convenable à sa nature, soit qu’il la possède, soit qu’il y tende. Si on l’embaume pour l’empêcher de se dissoudre, il ya encore une sorte de paix entre ses parties, qui les tient unies les unes aux autres, et qui fait que le corps tout entier demeure dans un était convenable, c’est-à-dire dans un état paisible. Si on ne l’embaume point, il s’établit un combat des vapeurs contraires qui sont en lui et qui blessent nos sens, ce qui produit la putréfaction, jusqu’à ce qu’il soit d’accord avec les éléments qui l’environnent, et qu’il retourne pièce à pièce dans chacun d’eux. Au milieu de ces transformations, dominent toujours les lois du souverain Créateur, qui maintient l’ordre et la paix de l’univers; car, bien que plusieurs petits animaux soient engendrés du cadavre d’un animal plus grand, chacun d’eux, par la loi du même Créateur, a soin d’entretenir avec soi-même la paix nécessaire à sa conservation. Et quand le corps mort d’un animal serait dévoré par d’autres, il rencontrerait toujours ces mêmes lois partout répandues, qui savent unir chaque chose à celle qui lui est assortie, quelque désunion et quelque changement qu’elle ait pu souffrir.
Edition
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De civitate Dei (CCSL)
Caput XII: Quod etiam bellantium saeuitia omnesque hominum inquietudines ad pacis finem cupiant peruenire, sine cuius adpetitu nulla natura sit.
Quod enim me cum quisquis res humanas naturamque communem utcumque intuetur agnoscit, sicut nemo est qui gaudere nolit, ita nemo est qui pacem habere nolit. quandoquidem et ipsi, qui bella uolunt, nihil aliud quam uincere uolunt; ad gloriosam ergo pacem bellando cupiunt peruenire. nam quid est aliud uictoria nisi subiectio repugnantium? quod cum factum fuerit, pax erit. pacis igitur intentione geruntur et bella, ab his etiam, qui uirtutem bellicam student exercere imperando atque pugnando. unde pacem constat belli esse optabilem finem. omnis enim homo etiam belligerando pacem requirit; nemo autem bellum pacificando. nam et illi qui pacem, in qua sunt, perturbari uolunt, non pacem oderunt, sed eam pro arbitrio suo cupiunt commutari. non ergo ut sit pax nolunt, sed ut ea sit quam uolunt. denique etsi per seditionem se ab aliis separauerint, cum eis ipsis conspiratis uel coniuratis suis nisi qualemcumque speciem pacis teneant, non efficiunt quod intendunt. proinde latrones ipsi, ut uehementius et tutius infesti sint paci ceterorum, pacem uolunt habere sociorum. sed etsi unus sit tam praepollens uiribus et conscios ita cauens, ut nulli socio se committat solusque insidians et praeualens quibus potuerit obpressis et exstinctis praedas agat, cum eis certe, quos occidere non potest et quos uult latere quod facit, qualemcumque umbram pacis tenet. in domo autem sua cum uxore et cum filiis, et si quos alios illic habet, studet profecto esse pacatus; eis quippe ad nutum obtemperantibus sine dubio delectatur. nam si non fiat, indignatur corripit uindicat et domus suae pacem, si ita necesse sit, etiam saeuiendo conponit, quam sentit esse non posse, nisi cuidam principio, quod ipse in domo sua est, cetera in eadem domestica societate subiecta sint. ideoque si offerretur ei seruitus plurium, uel ciuitatis uel gentis, ita ut sic ei seruirent, quemadmodum sibi domi suae seruiri uolebat, non se iam latronem latebris conderet, sed regem conspicuum sublimaret, cum eadem in illo cupiditas et malitia permaneret. pacem itaque cum suis omnes habere cupiunt, quos ad arbitrium suum uolunt uiuere. nam et cum quibus bellum gerunt, suos facere, si possint, uolunt eisque subiectis leges suae pacis inponere. sed faciamus aliquem, qualem canit poetica et fabulosa narratio, quem fortasse propter ipsam insociabilem feritatem semihominem quam hominem dicere maluerunt. quamuis ergo huius regnum dirae speluncae fuerit solitudo tamque malitia singularis, ut ex hac ei nomen inuentum sit - Graece namque malus κακὸς dicitur, quod ille uocabatur - , nulla coniux ei blandum ferret referretque sermonem, nullis filiis uel adluderet paruulis uel grandiusculis imperaret, nullo amici conloquio frueretur, nec Vulcani patris, quo uel hinc tantum non parum felicior fuit, quia tale monstrum ipse non genuit; nihil cuiquam daret, sed a quo posset quidquid uellet et quando posset et cum uellet auferret: tamen in ipsa sua spelunca solitaria, cuius, ut describitur, semper recenti caede tepebat humus, nihil aliud quam pacem uolebat, in qua nemo illi molestus esset, nec eius quietem uis ullius terrorue turbaret. cum corpore denique suo pacem habere cupiebat, et quantum habebat, tantum bene illi erat. quandoquidem membris obtemperantibus imperabat, et ut suam mortalitatem aduersum se ex indigentia rebellantem ac seditionem famis ad dissociandam atque excludendam de corpore animam concitantem quanta posset festinatione pacaret, rapiebat necabat uorabat et quamuis inmanis ac ferus paci tamen suae uitae ac salutis inmaniter ac ferociter consulebat; ac per hoc si pacem, quam in sua spelunca atque in se ipso habere satis agebat, etiam cum aliis habere uellet, nec malus nec monstrum nec semihomo uocaretur. aut si eius corporis forma et atrorum ignium uomitus ab eo deterrebat hominum societatem, forte non nocendi cupiditate, sed uiuendi necessitate saeuiebat. uerum iste non fuerit uel, quod magis credendum est, non talis fuerit, qualis poetica uanitate describitur; nisi enim nimis accusaretur Cacus, parum Hercules laudaretur. talis ergo homo siue semihomo melius, ut dixi, creditur non fuisse, sicut multa figmenta poetarum. ipsae enim saeuissimae ferae, unde ille partem habuit feritatis - nam et semiferus dictus est - , genus proprium quadam pace custodiunt, coeundo gignendo pariendo, fetus fouendo atque nutriendo, cum sint pleraeque insociabiles et soliuagae; non scilicet ut oues cerui columbae sturni apes, sed ut leones uulpes aquilae noctuae. quae enim tigris non filiis suis mitis inmurmurat et pacata feritate blanditur? quis miluus, quantumlibet solitarius rapinis circumuolet, non coniugium copulat, nidum congerit, oua confouet, pullos alit et quasi cum sua matre familias societatem domesticam quanta potest pace conseruat? quanto magis homo fertur quodammodo naturae suae legibus ad ineundam societatem pacemque cum hominibus, quantum in ipso est, omnibus obtinendam, cum etiam mali pro suorum pace belligerent omnes que, si possint, suos facere uelint, ut uni cuncti et cuncta deseruiant; quo pacto, nisi in eius pacem uel amando uel timendo consentiant? sic enim superbia peruerse imitatur deum. odit namque cum sociis aequalitatem sub illo, sed inponere uult sociis dominationem suam pro illo. odit ergo iustam pacem dei et amat iniquam pacem suam. non amare tamen qualemcumque pacem nullo modo potest. nullius quippe uitium ita contra naturam est, ut naturae deleat etiam extrema uestigia. itaque pacem iniquorum in pacis conparatione iustorum ille uidet nec pacem esse dicendam, qui nouit praeponere recta prauis et ordinata peruersis. quod autem peruersum est, etiam hoc necesse est ut in aliqua et ex aliqua et cum aliqua rerum parte pacatum sit, in quibus est uel ex quibus constat; alioquin nihil esset omnino. uelut si quisquam capite deorsum pendeat, peruersus est utique situs corporis et ordo membrorum, quia id, quod desuper esse natura postulat, subter est, et quod illa subter uult esse, desuper factum est; conturbauit carnis pacem ista peruersitas et ideo molesta est: uerumtamen anima corpori suo pacata est et pro eius salute satagit, et ideo est qui doleat; quae si molestiis eius exclusa discesserit, quamdiu conpago membrorum manet, non est sine quadam partium pace quod remanet, et ideo est adhuc qui pendeat. et quod terrenum corpus in terram nititur et uinculo quo suspensum est renititur, in suae pacis ordinem tendit et locum quo requiescat quodammodo uoce ponderis poscit, iamque exanime ac sine ullo sensu a pace tamen naturali sui ordinis non recedit, uel cum tenet eam, uel cum fertur ad eam. si enim adhibeantur medicamenta atque curatio, quae formam cadaueris dissolui dilabique non sinat, adhuc pax quaedam partes partibus iungit totamque molem adplicat terreno et conuenienti ac per hoc pacato loco. si autem nulla adhibeatur cura condendi, sed naturali cursui relinquatur, tamdiu quasi tumultuatur dissidentibus exhalationibus et nostro inconuenientibus sensui - id enim est quod in putore sentitur - , donec mundi conueniat elementis et in eorum pacem paulatim particulatimque discedat. nullo modo tamen inde aliquid legibus summi illius creatoris ordinatorisque subtrahitur, a quo pax uniuersitatis administratur; quia, etsi de cadauere maioris animantis animalia minuta nascantur, eadem lege creatoris quaeque corpuscula in salutis pace suis animulis seruiunt; etsi mortuorum carnes ab aliis animalibus deuorentur, easdem leges per cuncta diffusas ad salutem generis cuiusque mortalium congrua congruis pacificantes, quaquauersum trahantur et rebus quibuscumque iungantur et in res quaslibet conuertantur et commutentur, inueniunt.