CHAPITRE PREMIER.
DE LA THÉOLOGIE NATURELLE ET DES PHILOSOPHES QUI ONT SOUTENU SUR CE POINT LA MEILLEURE DOCTRINE.
Nous arrivons à une question qui réclame plus que les précédentes toute l’application de notre esprit. Il s’agit de la théologie naturelle, et nous n’avons point affaire ici à des adversaires ordinaires; car la théologie qu’on appelle de ce nom n’a rien à démêler, ni avec la théologie fabuleuse des théâtres, ni avec la théologie civile, l’une qui célèbre les crimes des dieux, l’autre qui dévoile les désirs encore plus criminels de ces dieux ou plutôt de ces démons pleins de malice. Nos adversaires actuels, ce sont les philosophes, c’est-à-dire ceux qui font profession d’aimer la sagesse. Or, si la sagesse est Dieu même, Créateur de toutes choses, comme l’attestent la sainte Ecriture et la vérité, le vrai philosophe es{ celui qui aime Dieu. Toutefois, comme il faut bien distinguer entre le nom et la chose, car quiconque s’appelle philosophe n’est pas amoureux pour cela de la véritable sagesse, je choisirai, parmi ceux dont j’ai pu connaître la doctrine par leurs écrits, les plus dignes d’être discutés. Je n’ai pas entrepris, en effet, de réfuter ici toutes les vaines opinions de tous les philosophes, mais seulement les systèmes qui ont trait à la théologie, c’est-à-dire à la science de la Divinité; et encore, parmi ces systèmes, je ne m’attacherai qu’à ceux des philosophes qui, reconnaissant l’existence de Dieu et sa providence, n’estiment pas néanmoins que le culte d’un Dieu unique et immuable suffise pour obtenir une vie heureuse après la mort, et croient qu’il faut en servir plusieurs, qui tous cependant ont été créés par un seul. Ces philosophes sont déjà très-supérieurs à Varron et plus près que lui de la vérité, celui-ci n’ayant pu étendre la théologie naturelle au-delà du monde ou de l’âme du monde, tandis que, suivant les autres, il y a au-dessus de toute âme un Dieu qui a créé non-seulement le monde visible, appelé ordinairement le ciel et la terre, mais encore toutes les âmes, et qui rend heureuses les âmes raisonnables et intellectuelles, telles que l’âme humaine, en les faisant participer de sa lumière immuable et incorporelle. Personne n’ignore, si peu qu’il ait ouï parler de ces questions, que les philosophes dont je parle sont les platoniciens, ainsi appelés de leur maître Platon. Je vais donc parler de Platon; mais avant de toucher rapidement les points essentiels du sujet, je dirai un mot de ses devanciers.