DES HÉRÉSIES.
Oeuvres complètes de saint Augustin traduites pour la première fois en français, sous la direction de M. Raulx, Bar-Le-Duc, L. Guérin & Cie, éditeurs, 1869, Tome XIV. p. 1-21
Traduction de M. l'abbé AUBERT
Bien des fois, cher et saint Quodvultdeus1, tu m'as instamment prié d'écrire , sur les hérésies, un livre propre à intéresser ceux qui veulent ne point tomber dans les erreurs opposées à la foi chrétienne et capables de séduire les âmes par leur faux air de christianisme. Sois-en sûr, je n'avais pas attendu jusqu'à ce jour pour y penser : depuis longtemps j'aurais entrepris cette tâche, si, après mûr examen, la difficulté et la grandeur d'un tel ouvrage ne m'avaient paru dépasser mes forces; mais comme tu m'as, plus que personne, pressé de m'en charger, j'ai pris en considération ton nom aussi bien que tes instances, et je me suis dit: Je me mettrai à l'oeuvre, je ferai ce que Dieu veut, et j'aurai, ce me semble, la conscience d'avoir accompli son bon plaisir, si, avec le secours de sa grâce, je parviens au terme de mon travail, c'est-à-dire , soit à t'indiquer seulement la difficulté d'une oeuvre si importante , soit à la surmonter complètement. Cette difficulté m'apparaît; je la médite et la retourne dans mon esprit : je la saisis, mais en triompherai-je? Je n'ose me le promettre; car j'ai beau essayer, demander, chercher, frapper, le résultat me semble toujours incertain : une seule chose est pour moi hors de doute ; c'est que je ne puis ni demander, ni chercher, ni frapper suffisamment, si Dieu ne m'en inspire le désir et la volonté. J'entreprends donc ce, travail sur tes pressantes instances, et pour me conformer à la volonté de Dieu : mais, pour m'aider à parvenir au terme, ce n'est point assez, tu le vois, de me presser par d'incessantes demandes; il faut aussi me soutenir de tes ardentes prières : il. faut, de plus, engager à intercéder auprès de Dieu en ma faveur ceux de tes frères que tu pourras déterminer à le faire avec toi. Voilà pourquoi, le Seigneur aidant, je me suis hâté d'envoyer à ta Charité la première partie de mon livre et ce prologue. Tous ceux d'entre vous qui pourront connaître, par ce moyen, que j'ai déjà mis la main à l'œuvre, sauront combien ils doivent m'assister près de Dieu pour l'achèvement du travail immense que vous désirez me voir mener à bonne fin.
Si je juge de tes désirs par la teneur même de ta première lettre de demande, tu voudrais un traité court, concis et sommaire dans lequel je ferais connaître toutes les hérésies qui ont existé et qui existent encore, depuis l'origine de la religion chrétienne, héritage divin promis à nos pères : quelles erreurs les hérétiques ont soutenues et soutiennent : ce qu'à l'encontre de l'enseignement catholique ils ont pensé autrefois et pensent aujourd'hui sur la foi, la Trinité, le baptême, la pénitence, l'humanité et la divinité du Christ, la résurrection, le Nouveau et l'Ancien Testament. Mais comprenant que la réponse à de telles questions serait de grande étendue, il t'a paru utile qu'on y joignit un abrégé contenant en général, as-tu dit, tout ce en quoi. ils s'écartent de la vérité. Puis, tu as ajouté : « Quelles sont les sectes qui confèrent le baptême ou ne le confèrent pas ? Celles dont l'Eglise baptise les anciens adeptes , sans néanmoins rebaptiser. Comment, enfin, reçoit-elle ceux qui reviennent à elle? Que répond-elle à chacun d'eux d'après la loi, l'autorité et la raison? »
Ces diverses questions me font admirer l'élévation d'un esprit qui souhaite si vivement connaître la vérité en tant de grandes choses, et qui, néanmoins, réclame la brièveté pour éviter l'ennui. Tu t'es aussi aperçu de ce que pouvait me suggérer ce passage de ta lettre; aussi, tu as couru au-devant de ma pensée en ajoutant : « Que votre béatitude le croie bien; je suis assez clairvoyant pour imaginer le nombre et la grandeur des volumes qu'il faudra pour résoudre ces questions; mais ce n'est pas ce que je demande, nous l'avons déjà ». Aussi, pour m'indiquer, sous forme de conseil, la manière de demeurer concis tout en exposant la vérité, tu reviens à ta première recommandation : « Surtout, que votre méthode soit brève et serrée dans ce compendium, où vous exposerez, suffisamment pour instruire, les opinions de chaque hérésie, et la doctrine de l'Eglise catholique opposée à chacune d'elles ». Mais c'est de nouveau réclamer un long ouvrage; non pas qu'on ne puisse ou qu'on ne doive l'exécuter avec concision, mais parce qu'il y a tant de sujets à traiter, qu'il est indispensable d'y consacrer un grand nombre de pages ; et pourtant tu me dis : « Faites un résumé complet si quelqu'un veut connaître d'une manière plus ample, plus claire et plus approfondie, l'objection et la réponse, il ira consulter les précieux et magnifiques ouvrages écrits sur ces matières par différents auteurs, et surtout par votre révérence ». En t'exprimant de la sorte, tu me demandes donc comme un mémorial complet de toutes les erreurs et des vérités que leur oppose l'Eglise. Voici ma réponse.
Un savant du nom de Celse a réuni, en six volumes assez considérables, les opinions de tous les fondateurs des sectes philosophiques qui ont paru jusqu'à son temps : il ne pouvait aller plus loin ; mais il n'en a réfuté aucune : il les a exposées en assez peu de mots pour ne point prendre à tâche de les blâmer ou de les louer, de les soutenir ou de les défendre, se bornant à les énumérer et à les faire connaître : il parle d'une centaine de philosophes, et pourtant, tous n'ont pas établi une erreur nouvelle: mais il a pensé qu'il fallait citer même ceux qui avaient suivi les erreurs de leurs maîtres sans y rien changer. Nous avons encore six, livres, rédigés par un des nôtres, Epiphane, évêque de Chypre. Cet auteur, mort depuis peu de temps, parle de quatre-vingts hérésies; mais, à l'exemple de Celse, il ne fait qu'un simple récit dépouillé de toute polémique en faveur de la vérité contre l'erreur. Ces écrits sont très-succincts, et si on voulait les réunir en un seul volume, il serait loin d'équivaloir en étendue à tels autres livres écrits par d'autres ou par nous. Si j'imite sa brièveté, tu n'auras ni ce que tu réclames de moi, ni ce que tu es en droit d'en attendre. L'essentiel pour moi, en ce moment, n'est donc pas de suivre les traces d'Epiphane; les preuves que je t'en donnerai, et ta pénétration d'esprit suffiront à te le faire comprendre, lorsque j'aurai terminé mon ouvrage. En lisant les livres de cet écrivain, tu verras tout ce qui leur manque pour ressembler au travail que tu me demandes de faire, et à plus forte raison, à celui que je conçois moi-même. Tu demandes une réfutation courte, concise et sommaire de toutes les hérésies qu'on énumérera; mais, enfin, tu veux qu'on les réfute; c'est ce qu'Epiphane n'a pas fait. Pour moi, Dieu aidant, je veux aller plus loin: avec mon livre, il sera possible d'éviter toute hérésie connue ou inconnue on pourra devenir capable de juger sainement de celles qui pourraient surgir. Sache-le bien toute erreur n'est pas une hérésie ; quoique aucune opinion mauvaise ne puisse être une hérésie qu'autant qu'elle s'appuie sur quelque erreur. A mon avis, il est très-difficile sinon impossible, de comprendre, d'une manière précise, ce qui constitue l'hérésie : je m'efforcerai, néanmoins, de l'expliquer dans le cours de cet ouvrage, si le Seigneur daigne éclairer mon intelligence et diriger mon raisonnement vers le but que je me propose d'atteindre : lors même que nous ne parviendrions point à connaître le caractère distinctif de l'hérésie, nous verrons et nous dirons en temps et lieu, de quelle utilité peuvent être nos recherches; car si nous réussissons à avoir une idée juste, il est facile de comprendre quel avantage on en retirera. La première partie de cet ouvrage roulera donc sur les hérésies qui ont attaqué la doctrine de Jésus-Christ, depuis sa venue en ce monde et son ascension glorieuse, autant, du moins, que nous avons pu les connaître : dans la seconde , nous chercherons à bien définir en quoi consiste l'hérésie.
Lorsque le Seigneur fut monté au ciel, on vit paraître :
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Le nom de Quodvultdeus signifie : Ce que Dieu veut. ↩