CHAPITRE XXI. MAUDIT SOIT LE CRUCIFIÉ !
Nous lisons au Deutéronome : « Maudit soit celui qui est pendu au bois1 ». Les Manichéens ont souvent agité cette question : mais je me demande encore ce que peuvent avoir de contraire à cette maxime les paroles suivantes du Sauveur, citées par Adimantus
« Si vous voulez être parfait, vendez tout ce que vous possédez, donnez-en le prix aux pauvres, portez votre croix et suivez-moi2». Si le nom même de la croix n'était pas formellement désigné, je ne verrais pas qu'il y eût même de relation à établir entre ce mot du Sauveur et les paroles citées: « Maudit soit celui qui est pendu au bois »; à plus forte raison ne pourrait-on y trouver de contradiction, puisque chacun peut porter sa croix et suivre le Seigneur. Or, nous portons cette croix, par le fait même que nous suivons le Seigneur, car l'Apôtre a dit: « Ceux qui appartiennent à Jésus-Christ ont crucifié leur chair avec ses passions et ses concupiscences3 ». Par l'efficacité de cette croix nous détruisons le vieil homme, c'est-à-dire la vieille vie que nous avons reçue d'Adam et qui fut en lui l'effet d'un crime volontaire, tandis qu'en nous, elle est une conséquence de notre nature. C'est ce que l'Apôtre formule en ces termes: « Nous avons été autrefois et par nature enfants de colère, comme le reste des hommes4». Si donc c'est par Adam que nous avons reçu cette vieille vie, ainsi désignée parce que nous la tenons du vieil homme, qu'y a-t-il d'absurde dans la malédiction lancée par le Seigneur contre le vieil homme que Dieu a suspendu au bois? En effet, en se faisant homme, le Sauveur avait contracté, par droit de succession, la dette de la mortalité; il est né mortel des entrailles de Marie; sa chair n'était pas souillée par le péché, mais elle portait la ressemblance du péché5. En effet, il pouvait mourir, et la mort n'est qu'une suite du péché. De là ce mot : « Sachant que notre vieil homme a été attaché à la croix avec lui, afin que le corps du péché fût détruit6».
Ce n'est donc pas au Seigneur lui-même, mais à la mort, que s'applique la malédiction prononcée par David, et que le Sauveur a détruite en s'en faisant la victime. Ce qui a été suspendu au bois, c'est donc la mort elle-même que l'homme s'attira par sa criminelle condescendance pour la femme, séduite elle-même par le serpent. Voilà pourquoi Moïse, dans le désert, éleva un serpent suspendu au bois pour signifier la mort elle-même. Et parce que la foi en la croix du Seigneur nous guérit des passions qui donnent la mort, ceux qui dans le désert avaient été atteints des morsures venimeuses des serpents, obtenaient leur guérison en jetant seulement leurs regards sur le bois qui portait le serpent7. Ce mystère a été constaté par le Sauveur lui-même dans les paroles suivantes : « Comme Moïse a élevé le serpent dans le désert, ainsi faut-il que le Fils de l'homme soit exalté8 ». En acceptant ce genre. de mort, le plus ignominieux aux yeux des hommes, c'est-à-dire la mort de la croix, Notre-Seigneur Jésus-Christ nous a prouvé l'immense étendue de son amour pour nous, et c'est là ce qui a fait dire à l'Apôtre : « Jésus-Christ nous a rachetés de la malédiction de la loi, en se faisant maudit en notre place, car il est écrit : Maudit soit celui qui est suspendu au bois9 ». Comment dès lors la liberté chrétienne, plus encore que la servitude judaïque, craindrait-elle, non-seulement aucune mort, mais aucun genre de mort?