CHAPITRE X. EXTRAVAGANCES MANICHÉENNES.
Pourquoi donc abuser de la bonne foi de vos auditeurs, qui se dévouent à votre service, avec leurs femmes, leurs enfants, leurs familles, leurs maisons et leurs champs, leur disant que quiconque n'abandonne pas tout cela, ne reçoit pas l'Evangile ? Oui, vous leur annoncez, non pas la résurrection, mais le retour à la mortalité présente; vous leur promettez une naissance nouvelle qui les fera vivre de la vie de vos élus, de cette vie vaine, ridicule et sacrilège qui est la vôtre, et dont vous vous enorgueillissez tant; et ceux qui auront le mieux mérité, reviendront animer des melons, des concombres ou d'autres aliments, afin que quand vous les mangerez et les digérerez, ils soient aussitôt purifiés. C'est bien là les éloigner de la pratique des préceptes de l'Évangile, et vous-mêmes, qui enseignez de telles folies, vous vous en écartez encore davantage. Si une doctrine aussi absurde faisait partie de la foi de l'Évangile, le Seigneur n'aurait pas dû dire : « J'ai eu faim, et vous m'avez donné à manger » ; mais : vous avez eu faim et vous m'avez mangé; ou bien j'ai eu faim et je vous ai mangés. Car, selon vos rêveries, personne n'entrera au royaume de Dieu, pour le mérite d'avoir donné à manger aux justes, mais parce qu'il aura mangé ceux qu'il désirait manger en vue du ciel, ou parce qu'il aura été mangé par ceux qui étaient pressés du même désir. S'il en était ainsi, les justes ne diraient pas : « Seigneur, quand est-ce que nous vous avons vu avoir faim, et que nous vous avons donné à manger? » Mais : Quand vous avons-nous vu avoir faim, et nous avez-vous mangés? Et au lieu de leur répondre : « Quand vous l'avez fait au plus petit d'entre les miens, c'est à moi que vous l'avez fait[^1] » ; le Seigneur leur dirait : Lorsque le plus petit d'entre les miens vous a mangés, c'est moi-même qui vous ai mangés.
- Matt. XXV, 35-40.