CHAPITRE VIII.
COMMENT L’ÂME DOIT SE CHERCHER ELLE-MÊME. POURQUOI ELLE SE TROMPE SUR SON PROPRE COMPTE.
- Comment l’âme se cherche et se trouve, où elle doit se diriger pour se chercher, où elle doit arriver pour se trouver: question étrange! Car qu’y a-t-il de plus intime à l’âme que l’âme? Mais comme elle est toute aux choses auxquelles elle aime à penser, que l’habitude et l’affection lui ont rendu familiers les objets sensibles, c’est-à-dire corporels, elle ne peut rentrer en elle-même sans apporter avec elle leurs images. De là provient chez elle cette honteuse erreur qui fait qu’elle ne peut se détacher elle-même des images des choses sensibles, ni se voir seule. Ces images se sont attachées à elle d’une manière étonnante par la glû de l’amour; et voilà sa souillure, que quand elle cherche à se recueillir en elle-même, elle croit être ce sans quoi elle ne peut plus s’imaginer qu’elle puisse être, Pour obéir à l’ordre de se reconnaître elle-même, elle n’a donc pas à se chercher comme si elle ne s’appartenait plus, mais simplement à se dépouiller de tout élément étranger. Car elle est plus près d’elle-même, non-seulement que les objets sensibles qui sont visiblement hors d’elle, mais même que leurs images imprimées dans une certaine partie de l’âme qui nous est commune avec les bêtes, bien que celles-ci soient privées de l’intelligence, signe distinctif de l’âme. Etant donc si près d’elle-même, elle sort en quelque sorte de chez elle, quand elle prodigue son affection à ces vestiges de nombreuses occupations; vestiges qui s’impriment dans la mémoire au contact des objets matériels extérieurs, de telle sorte que, même en l’absence de ceux-ci, leurs images restent présentes à la pensée. Qu’elle se connaisse donc elle-même, qu’elle ne se cherche pas comme si elle était absente; mais qu’elle recueille dans son intérieur son attention et sa volonté vagabondes et s’occupe d’elle-même. Elle verra bientôt qu’elle s’est toujours aimée, qu’elle s’est toujours connue; mais qu’en aimant quelque autre chose avec elle, elle s’est confondue avec cet élément étranger, elle s’est, en quelque sorte, grossie; et qu’en embrassant comme une seule chose des choses différentes, elle a pris ces choses différentes pour une seule chose.
