PRÉFACE.
- Je préfère de beaucoup le travail de la lecture à celui de la composition ; et si quelques-uns de mes lecteurs ne le croient pas, je les engage à en faire eux-mêmes l’expérience. Je les prie donc de noter dans leurs lectures les diverses solutions qu’on petit donner aux difficultés que je propose, elles diverses réponses que je dois faire à mille questions qui me sont adressées de toutes parts. Eh! n’est-ce pas là pour moi un véritable devoir, puisque je me suis consacré au service de Jésus-Christ et puisque je brûle du zèle de défendre notre foi contre les erreurs de certains hommes terrestres et charnels. Au reste je suis assuré que bientôt ces critiques auront reconnu avec quel empressement je me dispenserais de ce travail, et avec quelle joie je déposerais la plume. Toutefois je continuerai à écrire, parce que les divers ouvrages que j’ai lus sur la Trinité ou n’existent pas en latin, ou sont presque introuvables, comme me l’a prouvé la difficulté que j’ai eue à me les procurer. En outre, il est peu de personnes assez familiarisées avec la langue grecque pour pouvoir aisément lire et comprendre des traités aussi profonds. Et néanmoins ces traités, si j’en juge déjà par mes premiers extraits, renferment une foule de choses utiles.
Je ne saurais donc résister aux désirs de mes frères, qui sont en droit de me demander ce travail, puisque je me suis constitué leur très-humble serviteur, et puisque je me suis engagé en Notre-Seigneur Jésus-Christ à les servir avec zèle de ma parole et de ma plume. Or, la charité qui dirige en moi l’une et l’autre, comme deux coursiers pleins d’ardeur, me presse d’achever ma course. Je dois en outre avouer qu’en écrivant sur ce sujet, j’ai appris bien des choses que j’ignorais. C’est pourquoi il n’est permis ni au paresseux , ni au savant de considérer ce traité comme superflu, car je crois qu’il sera vraiment utile à beaucoup d’esprits lab6rieux ou ignorants, et je me mets de ce nombre. C’est à l’aide des ouvrages déja composés sur la sainte Trinité, qui est le Dieu unique et souverainement bon, que j’ai pu résoudre sur ce sujet plusieurs questions et plusieurs difficultés ; et c’est également avec le secours du Seigneur que je vais poursuivre mes recherches et mon travail. Si sous quelques rapports ce travail peut paraître nouveau, il n’en sera que plus agréable à ceux qui voudront bien se donner la peine de le lire et de le comprendre; si au contraire on le considère comme un abrégé des ouvrages qui existent déjà sur le même sujet, il sera utile encore, en épargnant à mes lecteurs de nombreuses et pénibles recherches.
- Certes, je désire trouver pour tous mes ouvrages des lecteurs bienveillants, et surtout des critiques libres et sincères. Mais ici principalement, je souhaite que les questions élevées que je traite, rencontrent autant d’esprits qui les comprennent, qu’elles se heurteront à d’obstinés contradicteurs. Toutefois, de même que je désavoue un lecteur qui me serait favorable par une complaisante prévention, je repousse également un critique qui d’avance me condamnerait par système et par préjugés. Le premier ne doit pas m’aimer plus que la foi catholique, et le second ne doit pas s’aimer lui-même plus que la vérité catholique. Ainsi je dis à l’un : Ne donnez point à mon ouvrage l’autorité des livres canoniques; mais s’il vous offre quelques nouveaux développements de nos dogmes sacrés, attachez-vous y avec empressement. Si au contraire quelques doutes subsistent encore dans votre esprit, suspendez toute adhésion, jusqu’à ce que ces doutes soient éclaircis. Mais je dis également à l’autre:
Ne condamnez point mon travail d’après votre propre opinion, ou votre propre jugement, et prononcez seulement d’après la sainte Ecriture, ou la droite raison. Les principes vrais que renferme ce traité, ne m’appartiennent point, mais en les aimant et en les comprenant, vous (389) et moi, nous nous les approprierons. Quant aux erreurs qui pourraient s’y glisser, vous devez me les attribuer, et toutefois éviter d’en faire, pour vous ou pour moi, une faute personnelle.
- Je commence donc ce troisième livre au point où le second s’est arrêté. Nous voulions d’abord prouver deux choses ; la première, que le Fils n’est pas inférieur au Père, parce qu’il est envoyé par le Père; et la seconde, que l’Esprit-Saint qui, selon l’Evangile, est envoyé par le Père et par le Fils, n’est inférieur ni à l’un ni à l’autre. C’est pourquoi j’ai dû examiner sous ses diverses faces cette double question : Comment le Fils a-t-il pu être envoyé là où il était déjà, car lorsqu’il est venu dans le monde, « il était déjà dans le monde ( Jean, I, 10 ) »; et encore, comment l’Esprit-Saint a-t-il, lui aussi, été envoyé là où il était déjà, puisque le Sage nous dit que «l’Esprit du u Seigneur remplit l’univers, et que celui qui contient tout, entend tout ( Sag., I, 7 ) »? Mais ici toute difficulté s’évanouit dès qu’on reconnaît quo le Fils de Dieu est envoyé, parce qu’il s’est au dehors revêtu de notre chair, et que quittant pour ainsi dire le sein de son Père, il s’est rendu visible aux yeux des hommes, en prenant la forme d’esclave. Et de même l’Esprit-Saint est dit envoyé, parce qu’il s’est montré sous la forme sensible d’une colombe, et d’un globe de feu qui se divisa en langues. Le Fils et le Saint-Esprit sont donc envoyés, lorsque d’invisibles qu’ils sont, ils se montrent à nous sous une forme corporelle. Mais parce que le Père n’a jamais apparu de la sorte, et qu’il a toujours envoyé le Fils, ou l’Esprit-Saint, on dit qu’il n’a point de mission.
En second lieu, j’ai recherché pourquoi l’on parle ainsi du Père, quoiqu’il soit vrai qu’il s’est montré dans les apparitions sensibles dont les patriarches furent favorisés. De plus, si le Fils se révélait dès lors, et se rendait visible sous une forme corporelle, pourquoi n’est-il dit envoyé que bien des siècles après, et lorsque dans la plénitude des temps il naquit d’une femme ( Gal., IV, 4 )? Voulez-vous, au contraires justifier cette expression en disant qu’il n’y eut, à l’égard du Verbe, de véritable mission qu’au jour où il se fit chair? je vous demanderai pourquoi vous dites également du Saint-Esprit qu’il a été envoyé, quoiqu’il ne se soit jamais incarné ? Enfin, si nous ne devons reconnaître séparément dans ces anciennes, apparitions ni le Père, ni le Fils, ni le Saint-Esprit, quelles raisons avons-nous aujourd’hui de dire que le Fils a été envoyé, puisque déjà il l’avait été sous ces formes diverses? C’est pour traiter ces importantes questions avec plus de lucidité, que j’ai divisé ma réponse en trois parties. La première a été l’objet du second livre , et je réserve les deux autres pour le troisième. J’ai donc prouvé que dans ces anciennes apparitions, et sous ces formes sensibles on peut indifféremment reconnaître tantôt le Père, ou le Fils ou le Saint-Esprit, et tantôt la Trinité entière, qui est le Dieu unique et véritable. C’est l’étude approfondie du contexte, qui peut seule déterminer à laquelle des trois personnes divines on doit rapporter l’apparition.