CHAPITRE XVII.
LES PHILOSOPHES ET LA RÉSURRECTION.
Néanmoins il faut avouer que le nom de prophètes n’était pas entièrement inconnu aux païens. Mais quand il s’agit de prophéties, il est important d’établir plusieurs distinctions. Et d’abord on peut conjecturer l’avenir par la connaissance du passé. Ainsi l’expérience aide beaucoup les médecins dans leurs prévisions, et plusieurs en ont consigné par écrit les résultats heureux. Ainsi encore le laboureur et le matelot énoncent diverses prédictions, qui même, en raison du long intervalle qui les voit se réaliser, passent pour de véritables prophéties. En second lieu, les esprits répandus dans l’air, pressentent pour ainsi dire les événements qui doivent prochainement s’accomplir; et la subtilité de leur intelligence leur permet de les découvrir de loin, en sorte qu’ils semblent les prédire. C’est à peu près comme si du sommet d’une montagne, apercevant un voyageur, je l’annonçais aux personnes qui stationneraient dans la plaine. Mais ici tantôt c’est aux saints anges que le Seigneur révèle ces évènements par son Verbe, ou sa Sagesse, en qui réside le passé et l’avenir; et alors ils les découvrent eux-mêmes aux hommes, ou bien ils n’en instruisent qu’un petit nombre, qui à leur tour en répandent et en divulguent la connaissance. Tantôt au contraire l’intelligence de l’homme, sans l’intermédiaire des anges, est élevée par l’Esprit-Saint à un tel ravissement, qu’elle contemple la cause et l’origine des futurs contingents dans la source et le principe de toutes choses. Quant aux esprits de malice, qui sont répandus dans l’air, ils ne connaissent ces divers événements que par la prédiction qu’en font les anges et les hommes, et ils ne les connaissent même qu’autant que le permet Celui qui est le souverain Seigneur de tous les êtres. Enfin il peut arriver qu’un homme prophétise même à son insu, et par une inspiration secrète du Saint-Esprit. Ainsi Caïphe prophétisa, ne parlant point de lui-même, mais parce qu’il était grand-prêtre (Jean, XI, 51 ).
Nous ne saurions donc touchant la suite des siècles et la résurrection des morts, nous en rapporter exclusivement même à ceux des philosophes païens qui, autant qu’ils l’ont pu, ont reconnu le Dieu éternel et créateur en qui nous avons le mouvement et la vie (Act., XVII, 28 ). Car ayant connu Dieu par tout ce qui a été fait, ils ne l’ont point glorifié comme Dieu, et ne lui ont point rendu grâces. Mais en se disant sages, ils sont devenus fous (Rom., I, 21, 22 ). C’est pourquoi ces philosophes n’ont jamais pu contempler l’être spirituel, immuable et éternel, d’un regard qui pénétrât jusque dans le sanctuaire secret de la sagesse et de la providence où sont contenus les divers événements que doit amener la suite des siècles. Là par rapport à Dieu, ces (416) événements sont tout ensemble présents, passés et futurs; mais sur la terre, et eu égard à l’homme, ils sont seulement futurs et contingents. De plus, ces mêmes philosophes étaient également incapables d’apprécier les résultats heureux par lesquels toutes choses coopèrent au bien et à la perfection de l’homme, en son corps comme en son âme.
Pour suppléer en eux à cette impuissance personnelle de percevoir l’avenir, il eût fallu que les saints anges vinssent les en instruire. Mais Dieu les a jugés indignes de cette faveur, et les esprits célestes ne leur ont rien fait connaître soit par des signes extérieurs et sensibles, soit par des visions imaginatives ou intellectuelles. Nos pères au contraire, les patriarches et les prophètes, ont mérité par l’excellence de leur piété, de recevoir la révélation de l’avenir: et par des miracles opérés en preuve de leur inspiration, ou par la réalisation des prophéties peu après accomplies, ils ont donné à leurs prédictions d’événements éloignés et lointains une autorité qui subsistera jusqu’à la fin du monde. Quant aux esprits de malice, répandus dans l’air, esprits orgueilleux et trompeurs, ils ont bien pu par la bouche de leurs prêtres répéter sur la société sainte des élus et sur le vrai Médiateur plusieurs des choses qu’ils en avaient entendu dire aux anges, ou aux prophètes. Leur but en cela était d’entraîner dans l’erreur, s’ils le pouvaient, les serviteurs de Dieu, en les séduisant par l’énonciation de quelques vérités. Mais le Seigneur, même à leur insu, a réalisé parmi eux un tout autre dessein, et il a fait ainsi publier en tous lieux la vérité, afin de fortifier les adorateurs et de confondre les impies.
