7.
Certaines personnes prétendent que l'homme, dès cette vie, peut être sans péché: gardons-nous de donner à cette opinion un démenti téméraire et sans réserve ni précaution. En effet, déclarer que cela est impossible, c'est faire injure d'une part au libre arbitre de l'homme, dont la volonté aspire à cette hauteur ; et d'autre part, à la puissance ou à la miséricorde de Dieu, dont le secours produit cet effet.
Remarquons plutôt la différence entre ces deux questions: La chose est-elle possible ? La chose existe-t-elle ? — Et entre ces deux autres : Si la chose n’existe pas, bien qu'elle soit possible, pourquoi le fait ne suit-il pas la possibilité ? Et cet homme qui n'aurait jamais eu absolument aucun péché, est-ce vrai qu'il existe, et se peut-il même qu'il existera un jour, ou qu'il ait jamais existé ? Voilà notre sujet divisé en quatre questions.
Supposé donc qu'on me demande d'abord si l'homme peut être sans péché ici-bas ? Je réponds qu'il le peut par le concours de la grâce de Dieu avec son libre arbitre. Au reste, et sans ombre de doute, je rapporte le libre arbitre lui-même à la grâce de Dieu, en ce sens que cette liberté humaine est un don de Dieu, à qui elle doit non-seulement d'exister, mais encore d'être bonne, c'est-à-dire de se tourner à l'accomplissement des commandements divins ; ainsi la grâce de Dieu ne se borne pas à lui montrer ce qu'elle doit faire, mais elle l'aide encore à faire ce qu'elle lui a montré. Qu'avons-nous, en effet, que nous n'ayons pas reçu1 ? De là encore cette parole de Jérémie : « Je sais, ô mon Dieu, que l'homme ne dispose pas de sa voie, et qu'il a ne lui appartient pas de marcher et de bien diriger ses pas2 ». Aussi bien le fidèle, dans les psaumes, s'adresse à Dieu en ces termes « Vous avez ordonné que vos commandements fussent observés avec une excessive perfection » ; mais aussitôt, loin de présumer de ses forces humaines, il témoigne seulement désirer les accomplir : « Puissent mes pas se diriger de façon à garder vos justes observances ! alors je ne serai point confondu, quand vraiment j'aurai l'oeil sur tous vos saints préceptes ». Désire-t-on ce qu'on possède en plein pouvoir, ce qu'on peut faire sans aucun aide ? Mais de qui désire-t-il obtenir cette faveur ? Ce n'est ni de la fortune, ni du destin, ni d'aucune autre puissance que de Dieu ; il le déclare assez évidemment dans les paroles qui suivent : « Dirigez mes démarches selon votre parole, et que jamais l'iniquité ne domine sur moi3 ». — Les hommes délivrés de cette domination exécrable et de ce servage sont ceux à qui le Seigneur Jésus a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu, parce qu'ils lui font accueil4. Cette domination horrible et honteuse, il a dû en affranchir ceux auxquels il dit : « Si le Fils vous délivre, alors vraiment vous serez libres5 ». D'après ces témoignages et une infinité d'autres encore, je ne puis pas douter de deux points essentiels : le premier, c'est que Dieu n'a fait à l'homme aucun précepte impossible; le second, c'est qu'il n'est rien d'impossible non plus à Dieu en fait d'aide et de secours capables de nous faire accomplir ce qu'il commande ; et c'est pourquoi je conclus que l'homme, avec le secours de Dieu, peut, s'il le veut, être sans péché.