37.
Pour rendre ma démonstration plus facile, veuillez remarquer que l'âme est souvent nominée l'esprit ; lisez plutôt: «Jésus, inclinant la tête, rendit l'esprit1 ». Il est évident que dans ce passage la partie est prise pour le tout; pourquoi donc voudriez-vous soutenir que l'âme ne saurait être appelée esprit? Mais quoi? C'est vous-même que je veux invoquer comme témoin de la vérité que j'avance. Dans la définition que vous donnez de l'esprit on voit clairement que vous vous exprimez de manière à nier l'esprit aux animaux, mais à leur concéder une âme. En effet, on appelle irrationnels les êtres qui n'ont ni raison ni intelligence. Quand donc vous voulez prouver à l'homme qu'il doit connaître sa nature, c'est en ces termes que vous vous exprimez : «Dans son infinie bonté Dieu n'a rien fait sans motif, et il a créé l'homme animal raisonnable, doué d'intelligence, de raison et d'une sensibilité très-développée, afin qu'il fût capable de placer dans un ordre convenable tout ce qui est privé de raison ». Ces paroles affirment hautement que l'homme est doué de raison et d'intelligence, tandis que les animaux en sont privés. De là, vous appuyant sur un oracle divin, les hommes qui ne comprennent pas vous les comparez aux animaux qui n'ont pas d'intelligence2. Dans un autre passage il est dit également: « Gardez-vous de ressembler au cheval et au mulet, qui n'ont pas d'intelligence3 » . Cela posé, voyez en quels termes vous définissez l'esprit, pour mieux faire sentir la différence que vous mettez entre lui et votre âme. «Cette âme », dites-vous, « sortie qu'elle est du souffle de Dieu, n'a pu exister sans le sens propre et sans l'intelligence intime que nous appelons l'esprit ». Un peu plus loin vous ajoutez: «Quoique l'âme anime le corps, cependant ce qui sent, ce qui juge, ce qui vivifie est nécessairement un esprit ». Enfin, vous écrivez encore : «Autre chose est l'âme, autre chose est l'esprit, le jugement et le sens de l'âme ». Par ces paroles vous formulez assez clairement l'idée que vous vous formez de l'esprit dont vous faites la puissance rationnelle par laquelle notre âme sent et comprend; et, quand vous parlez du sens de l'âme, vous n'entendez pas les sens du corps, mais le sens intime qui se produit au dehors par une affirmation que nous appelons sentence. C'est donc là ce qui nous distingue essentiellement des animaux, puisque ces. derniers sont privés de raison. Ces animaux, par conséquent, n'ont ni l'intelligence ni le sens de la raison et du jugement, mais ils n'en ont pas moins une âme. N'est-ce pas d'eux qu'il est écrit ; « Que les eaux produisent les reptiles des âmes vivantes », et encore : «Que la terre produise une âme vivante4? » Afin que vous n'ignoriez de rien, remarquez encore que, selon le langage des divins oracles, cette âme reçoit aussi le nom d'esprit et est appelée l'esprit des animaux. Pourtant ces animaux ne possèdent pas, je pense, cet esprit entre lequel et l'âme vous établissez une distinction si prononcée. Et cependant, il est hors de doute que l'âme des animaux a pu être appelée esprit , selon ces paroles de l'Ecclésiaste : « Qui sait si l'esprit des enfants de l'homme monte en haut, et si l'esprit de l'animal descend dans l'intérieur de la terre5? » A l'occasion du déluge nous lisons également: «La a mort a frappé toute chair: les oiseaux, les animaux, les bêtes de somme, les bêtes féroces, les serpents qui rampent sur la terre, les hommes et tout ce qui a l'esprit de vie6 ». Après des témoignages aussi formels l'hésitation n'est plus possible , et il faut conclure que l'esprit est le nom générique donné à l'âme. Ce mot, du reste, a une telle extension, qu'il convient même à Dieu7. Il n'y a pas jusqu'au souffle atmosphérique, tout corporel qu'il est, qui ne soit appelé l'esprit de tempête8. En face de témoignages aussi formels, dans lesquels l'âme de l'animal, quoique privée d'intelligence et de raison, est cependant appelée esprit, ne suis-je pas en droit de conclure que désormais vous ne refuserez plus à l'âme cette dénomination d'esprit? Et si vous avez compris tout ce que nous avons dit de l'âme incorporelle, vous ne devez plus vous étonner de m'entendre affirmer en connaissance de cause l'incorporéité et la spiritualité de l'âme ; toutes les raisons possibles ne se trouvent-elles pas réunies pour prouver que l'âme n'est pas un corps et qu'elle est désignée sous le nom général d'esprit ?