18.
Ses angoisses redoublent quand il s'entend dire: «Pourquoi de la part de Dieu cette injuste animadversion dont il poursuit une âme, jusqu'à l'enchaîner à une chair de péché, jusqu'à la rendre pécheresse par cette union avec la chair, sans laquelle cette âme n'aurait pu devenir pécheresse ? » Il s'entend dire également : «L'âme ne pouvait devenir pécheresse, si Dieu ne l'avait unie à une chair pécheresse ». Comment concilier cette conduite avec la justice de Dieu? C'est ce qu'il ne saurait faire, surtout qu'on ne laisse pas de lui mettre sous les yeux l'éternelle damnation des enfants qui meurent sans baptême, et par là même sans avoir obtenu la rémission du péché originel.. Pourquoi donc un Dieu juste et bon, qui dans sa prescience infinie savait que les âmes de tels enfants resteraient privées du sacrement de la grâce chrétienne, les a-t-il enchaînées innocentes et pures, dans une chair coupable issue du premier homme ; pourquoi les avoir ainsi souillées du péché originel et précipitées dans une éternelle condamnation? Ne sachant que répondre, et d'un autre côté s'obstinant à nier que ces âmes fussent issues de la première âme pécheresse, il a mieux aimé courir toutes les horreurs d'un malheureux naufrage, que de plier ses voiles, de suspendre sa course, de déposer les rames perfides de la discussion, et de jeter l'ancre pour se livrer à une étude sérieuse. L'hésitation d'un vieillard a soulevé les mépris de ce jeune homme, comme si dans une question aussi épineuse et aussi difficile, les flots tumultueux de l'éloquence devaient être plus utiles que les méditations de la prudence. Il pressentait lui-même les dangers de son entreprise, mais ce fut en vain. En effet, il se pose à lui-même les objections que doivent lui soumettre ses adversaires : «D'autres opprobres », dit-il, « attendent les plaintifs murmures des crieurs médisants, et alors, semblables à des hommes tombés d'un épais tourbillon, nous roulons tristement au sein de rochers escarpés ». C'est après avoir ainsi posé ses prémisses, qu'il engage cette dangereuse question dans laquelle sa foi catholique a fait naufrage et restera engloutie jusqu'à ce qu'il rétracte toutes les erreurs qu'il a soutenues. Saisi d'horreur pour ce tourbillon et pour ce rocher, j'ai refusé de leur confier le navire, et si je me suis engagé dans la discussion, c'est moins pour dévoiler la témérité de leur présomption, que pour justifier mes doutes et mes hésitations1. Trouvant chez vous un de mes ouvrages, il se prit d'un rire de mépris et se lança contre ces rochers avec plus d'impétuosité que de prudence. A quels excès l'entraîna sa présomption, je pense que vous vous en apercevez aujourd'hui; si vous vous en êtes aperçu longtemps auparavant, n'en rendez à Dieu que des actions de grâces plus abondantes. En effet, ne voulant pas enchaîner sa course pour n'avoir point à démentir sa première audace, il heurta contre de redoutables écueils et vint échouer devant cette proposition : Aux enfants morts sans la régénération chrétienne, Dieu accorde immédiatement le paradis, et plus tard le royaume des cieux.
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Liv. III du Libre Arbitre, n. 59-62; liv. II des Mérites des Péchés, n. 59; épit. CLXVI à saint Jérôme, et CXC à Optat. ↩