73.
Autre chose est la contemplation de la beauté même corporelle, soit qu'elle frappe les yeux, comme dans les couleurs et les figures, soit qu'elle frappe les oreilles, comme dans les chants et les mélodies; quel que soit du reste son objet, cette contemplation n'est possible qu'autant que l'on jouit de l'usage de la raison ; autre chose est le mouvement de la concupiscence que l'on doit toujours soumettre à la répression et à l'empire de la raison. Saint Jean n'a-t-il pas déclaré que ce n'est point du Père que peut venir cette concupiscence1 qui convoite contre l'esprit ? Qui donc oserait la dire bonne, si ce n'est celui dont l'esprit n'aime pas de convoiter contre elle ? Que si vous supposez que cette concupiscence n'existe ni dans les mouvements, ni dans le feu des organes vitaux, ne souffrez pas que votre esprit convoite contre elle ; si vous ne voulez pas vous exposer, par une coupable ingratitude, à convoiter contre le don de Dieu. Au contraire, accordez-lui tout ce qu'elle demande, puisque c'est elle qui vient du Père ; et si vous n'avez rien à lui donner, demandez au Père, non pas de l'étouffer ou de la détruire, mais de fournir un aliment généreux à cette concupiscence qu'il vous a donnée. Si cette conduite vous paraît une folie, pourquoi donc comparer cette concupiscence au vin et à la nourriture ; pourquoi nous dire avec une sorte de complaisance : « Que l'ivresse ne condamne pas le vin, que la gourmandise ne condamne point la nourriture, ni la luxure la concupiscence ? » Est-ce que l'ivresse, la gourmandise et la luxure sont possibles, si la concupiscence de la chair est vaincue dans la lutte engagée contre elle parla concupiscence de l'esprit? «C'est l'excès qui est une faute », dites-vous. Si vous aviez été plus préoccupé de la vaincre, que de me vaincre moi-même, très-facilement vous auriez compris que, pour empêcher l'excès, l'on doit avant tout résister au mal de la convoitise. Si donc noua ne résistons pas à ce mal de la concupiscence que nous portons en nous-mêmes, nous acceptons un double mal, celui que nous avons, et celui que nous commettons.
Jean, II, 16. ↩
