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Jul. Cependant, après avoir mis sous les yeux du lecteur éclairé ce résumé de la discussion, examinons comment ton baptême, que tu déclares avoir été institué uniquement pour remédier aux suites des mouvements de la chair, remplit l'office qui lui est confié. Il s'annonce comme purifiant les hommes de leurs péchés; mais quand la cause de la volonté est plaidée devant le tribunal de la justice, la volonté n'est point déclarée coupable, parce qu'elle n'a pas eu le pouvoir de se déterminer autrement. Or, l'odieux de la culpabilité disparaissant , le mérite de celui qui pardonne perd aussi tout son éclat ; par la raison qu'il n'est pas possible de pardonner ce que l'on n'a pas le droit d'imputer. Par là même, ton baptême se voit frustré de la gloire de réaliser sa promesse : car, il ne trouve point de crimes dont il puisse s'honorer d'avoir accordé le, pardon; et, ne délivrant personne des liens du péché, il n'acquiert aucun droit à la reconnaissance que mériterait un tel bienfait : il ne peut convaincre de volonté mauvaise des hommes retranchés dans l'asile de la nécessité : et son inutilité absolue est démontrée par toutes ces raisons. Mais il est certain que la grâce qui nous a été préparée par le Christ, n'est pas inutile; et que, d'autre part, pour lui attribuer d'une manière rationnelle le caractère de bienfait véritable, on doit regarder la volonté du pécheur comme convaincue de culpabilité et comme ayant pu sans aucun doute vouloir le bien tout aussi librement qu'elle a voulu le mal. Ainsi, cette nécessité s'évanouit comme une fiction : et par là même il n'y a aucun péché qui soit la suite nécessaire de notre condition naturelle ; mais le libre arbitre continue de subsister dans la nature humaine : tu nies ce principe avec les Manichéens; nous le confessons, nous, avec les Apôtres et avec tous les catholiques.
Aug. Il est nécessaire que celui-là commette le péché, qui ignore la justice : aurait-il pour cela, quand il connaîtra la justice, moins besoin de recevoir le pardon des péchés que son ignorance lui aura fait commettre d'une manière nécessaire ? Ou bien, sous prétexte qu'il a appris comment il doit se conduire, doit-il avoir la présomption de croire qu'il pourra vivre. dans la justice par ses propres forces, et non point par le secours de celui à qui nous disons : « Ne nous faites pas entrer en tentation? » L'impunité n'est donc pas assurée par le fait seul que l'on s'est trouvé dans la nécessité de pécher : et pour que cette nécessité ne nous cause aucun préjudice, il nous faut un don particulier de celui à qui le Psalmiste disait : « Délivrez-moi des nécessités où je me trouve[^1] ». Or, Dieu accorde ce don de deux manières : en pardonnant les iniquités passées, et en nous aidant à ne pas entrer en tentation. Car chacun est tenté par sa propre concupiscence, qui l'entraîne et le séduit[^2]. Cette concupiscence, ta cliente, a pour toi tant de charmes que tu la regardes comme digne d'éloges, pourvu qu'on ne se laisse pas entraîner par elle jusqu'à donner son consentement; comme si une chose qui pousse au mal cessait d'être mauvaise en soi, dès que celui qui subit cette impulsion, y résiste au lieu d'y céder. Mais, lors même que l'on consent à cette concupiscence, tu prétends encore, dans un verbiage également pompeux et fut-il, que la faute doit être attribuée à celui qui est tombé, non pas à celle qui l'a poussé; à celui qui a été en traîné, non pas à celle qui a entraîné; à celui qui a été séduit, non pas à celle qui a séduit: et tu en donnes cette raison, que dans ce cas l'homme a fait un usage mauvais d'une chose bonne : car tu as l'esprit tellement pervers que tu regardes comme une chose bonne la concupiscence par laquelle la chair convoite contre l'esprit. D'autre part, tu crois avoir raillé avec beaucoup de finesse notre doctrine touchant le baptême, et, par la plus criante des impostures, tu affirmes que, suivant nous, le baptême a été institué uniquement pour remédier aux suites des mouvements de la chair. Ce n'est point là ce que nous enseignons : notre doctrine que, avec la perversité particulière aux hérétiques nouveaux, vous vous efforcez de détruire, est celle-ci : Dieu a préparé un secours pour la naissance seconde et spirituelle que les hommes doivent recevoir en Jésus-Christ, suivant ce qui a été établi par celui-ci même, parce que en naissant du premier homme suivant la chair, ils contractent par cette naissance première la souillure de la mort antique[^3]. Je me sers ici des expressions de Cyprien, évêque de Carthage, de ce martyr à qui s'adressent aussi tes injures, quand tu attaques la foi si inébranlable. ment affermie de l'Eglise pour laquelle il a répandu son sang. Saint Paul dit en effet; « Le péché est entré dans le monde par un seul homme, et par le péché la mort: et ainsi la mort a passé dans tous les hommes par celui en qui tous ont péché[^4] » : conformément à ces paroles de l'Apôtre, dont il fut toujours un si fidèle interprète, l'évêque Cyprien confesse que ceux qui naissent d'Adam suivant la chair, contractent par cette naissance première la souillure de la mort antique. Pourquoi donc te joins-tu frauduleusement aux Apôtres et à tous les catholiques; puisque en réalité tu contredis d'une manière hypocrite les Apôtres, et d'une manière ou. verte un évêque catholique , décoré de la palme du martyre, sur un point de doctrine qu'il a partagé avec l'Eglise catholique d'Orient et d'Occident ?
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Ps. XXIV, 17.
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Jacq. I, 14.
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Cyprien. Lettre LXIV à Fidus.
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Rom. V, 12.