2.
Julien. C'est ce que nous apprend aussi l'auteur du livre de la Sagesse quand , parlant au nom des impies qui, après avoir joui à peine un instant des frivolités de ce monde, contemplent avec amertume les mérites des bienheureux, dévoilés à leurs yeux, il s'écrie : « Nous estimions leur vie une folie ; et voici qu'ils sont placés parmi les enfants de Dieu[^1] ». Voilà donc pourquoi la persévérance des fidèles qui veulent résister à ce torrent d'iniquités que nous voyons aujourd'hui se déborder de toutes parts, et qui aiment mieux souffrir avec le peuple de Dieu que de goûter pour un temps le plaisir du péché[^2] , est qualifiée d'opiniâtreté, d'obstination orgueilleuse, par ceux qui disent, pour me servir des expressions de l'Apôtre : « Mangeons et buvons, car nous mourrons demain[^3] » ; suivant ceux-ci le parti le plus sûr et le plus prudent consiste à asservir l'esprit sous un esclavage qui le dégrade et l'avilisse, ou bien à se livrer à un repos dont la durée est ce qu'il y a de plus incertain. Cette oisiveté honteuse et avilissante a été en effet une des causes principales qui ont permis aux Manichéens d'élever l'édifice de leurs dogmes impurs sur les ruines des Eglises. Si ceux qui étaient revêtus de la dignité sacerdotale avaient su faire usage de leur autorité avec une noble indépendance et une sainte énergie, on aurait vu infailliblement l'opinion publique faire prompte justice de ces inventions des Traducianistes, contre lesquelles proteste la raison de tout homme éclairé. Mais parce qu'aux yeux des hommes dont le coeur est rempli de l'amour des choses présentes, il n'y a rien de plus méprisable que la religion, on en est arrivé à formuler contre Dieu même des accusations sacrilèges ; et nous nous trouvons ainsi réduits à la triste, mais impérieuse nécessité, de démontrer par des discussions d'une longueur démesurée que notre Dieu, qui est le Dieu véritable, est à la fois fidèle dans ses paroles; juste dans ses jugements et saint dans ses oeuvres[^4].
Augustin. Si Dieu est fidèle dans ses paroles, pourquoi vous élevez-vous contre cette maxime sortie de sa bouche : « Je vengerai sur les enfants les péchés de leurs pères[^5] ». et pourquoi prétendez-vous qu'elle est contraire à la vérité ? Si Dieu est juste dans ses jugements, pourquoi prétendez-vous que les péchés des parents ne sauraient sans injustice être vengés sur les enfants; et pourquoi ne craignez-vous pas de dire, par rapport au joug accablant qui pèse saur les enfants dès le jour où ils sortent du sein de leur mère, que ce joug n'est point le châtiment d'un péché originel quelconque ? Si Dieu est saint dans ses oeuvres, pourquoi refusez-vous de reconnaître que l'impureté dans laquelle nous naissons tous et qui a contraint un homme de Dieu à déclarer que l'enfant même qui n'a qu'un seul jour d'existence sur la terre n'est pas exempt de la souillure du péché[^6]; pourquoi, dis-je, refusez-vous de reconnaître que cette impureté n'est point l'ouvrage de celui qui crée saintement la nature, bien que celle-ci se trouve dès lors flétrie par la souillure originelle; et pourquoi obligez-vous ainsi vos lecteurs à conclure que l'on doit considérer comme étant l'oeuvre de Dieu tous ces vices si multipliés et parfois si énormes que l'on remarque soit dans les esprits, soit dans les corps ? Par le fait seul que vous refusez de voir dans ces vices un châtiment justement infligé à la nature à clause du péché dont elle a été flétrie dès son origine; vous autorisez pleinement les détestables partisans de Manès, à introduire cette nature étrangère qu'ils qualifient de nature mauvaise ; et sous prétexte de condammer et de repousser avec horreur leur doctrine abominable, vous :leur prêtez en réalité votre appui sans vous en apercevoir.
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Sagesse, V, 4, 5.
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Hébr. XI, 25.
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I Cor. XV, 32.
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Ps. CXLV,13,17.
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Deut. V, 9.
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Job, XIV, suiv. les Sept.