IX.
« Cependant, comme les mauvaises plantes sont les plus fertiles, et que les vices gagnent tous les jours de plus en plus, cette maudite secte s'augmente aussi tous les jours. C'est pourquoi il faut travailler de bonne heure à extirper cette exécrable société : ils s'entre-connaissent à de certains signes cachés, et s'entr'aiment presque avant que de se connaître. La luxure fait une partie de leur religion : ils s'appellent communément frères et sœurs, pour transformer une débauche ordinaire en inceste ; on dirait que ces malheureux se plaisent aux crimes. Et certes s'il n'en était quelque chose, le bruit n'en serait pas si grand : on dit encore qu'ils adorent une tête d'âne consacrée par je ne sais quelle sotte superstition, religion véritablement digne de leur vie. Ils ont aussi en vénération, à ce qu'on dit, les parties honteuses de leurs prêtres ; vous diriez qu'ils adorent la nature de leurs pères. Je ne sais si ces soupçons sont faux ou véritables, mais véritablement ces cérémonies et ces dévotions cachées et de nuit sont toutes propres à les faire naître. Et celui qui dit qu'ils adorent un homme qui a été pendu pour ses crimes, et que le bois d'une croix fait une partie de leurs cérémonies, celui-là leur attribue des autels dignes de leurs méchancetés et leur fait adorer ce qu'ils méritent. D'ailleurs, les cérémonies qu'ils observent quand ils admettent quelqu'un à leurs mystères, ne sont pas moins publiques qu'horribles. On met devant ce nouveau venu un enfant couvert de pâte, afin de cacher le meurtre qu'on veut faire commettre : c'est là-dedans qu'il donne, par leur commandement, plusieurs coups de couteau; le sang coule de toutes parts, ils le sucent avidement, et ce crime commun est le gage commun du silence et du secret. Mystères pires que tous les sacrilèges! On sait aussi quels sont leurs banquets, et l'orateur de Cyrta en fait mention dans sa harangue. Ils s'assemblent tous en un jour solennel, femmes, enfants, frères, sœurs, et enfin de tous âges et de tous sexes, et après avoir bien bu et mangé, lorsque la chaleur du vin et des viandes commence à les échauffer et à les provoquer à la luxure, ils attachent un chien au candélabre et lui jettent un gâteau si loin qu'il n'y peut atteindre, afin qu'en sautant il renverse le flambeau. Ainsi s'étant défaits du témoin de leurs crimes, ils se mêlent au hasard, et par ce moyen sont tous incestueux de volonté s'ils ne le sont tous d'effet, puisque le péché de chacun est le souhait de toute la troupe.