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Que l'âme s'attache donc à ces paroles, jusqu'à ce qu'à force de les méditer, elle éloigne et rejette cette abondance, cette richesse de pensées qui pourraient l'occuper, et qu'elle parvienne, en se renfermant dans la pauvreté de ce verset, à cette première des béatitudes de l'Évangile : « Bienheureux les pauvres d'esprit, parce que le royaume des cieux est à eux. » L'homme, devenant aussi saintement pauvre, accomplira cette parole du prophète : « Le pauvre et l'indigent loueront votre nom. » (Ps. LXXIII, 21.) Peut-il y avoir une pauvreté plus noble et plus sainte que la pauvreté de celui qui reconnaît manquer de toute force et de tout secours, et sollicite l'assistance continuelle d'autrui. Il comprend que sa vie, son existence de tous les instants dépend de la bonté divine; il confesse sincèrement qu'il est le mendiant du Seigneur, et il lui dit humblement chaque jour : « Pour moi, je suis pauvre et mendiant, mon Dieu, assistez-moi. » (Ps. XXXIX , 18.) La science infinie de Dieu l'éclaire, et il commence à pénétrer les plus sublimes mystères, selon cette parole du prophète : « Les montagnes élevées sont pour les cerfs, et les rochers le refuge des hérissons. » (Ps. CIII, 18.) Ce texte convient bien à notre sujet : celui qui vit dans la simplicité et l'innocence , celui qui ne fait aucune peine, aucun mal à personne, qui se contente de sa position , et qui désire seulement se défendre de l'attaque de ses ennemis, semble un hérisson spirituel qui se cache sous la pierre de l'Évangile , c'est-à-dire dans le souvenir de la passion de Notre-Seigneur ; et la méditation continuelle de notre verset le protége contre toutes les embûches de ceux qui le poursuivent.
C'est de ces hérissons spirituels qu'il est dit dans les Proverbes (XXX, 26) : «Les hérissons sont des êtres faibles qui font leur demeure dans les pierres. » Qu'y a-t-il de plus faible qu'un chrétien, de plus infirme qu'un religieux qui, non-seulement ne peut se venger d'aucune injure, mais qui ne doit pas même en éprouver la moindre émotion?
Celui qui arrive à cet état possède, avec la simplicité de l'innocence, la vertu de discrétion; il peut exterminer les serpents les plus dangereux, et fouler aux pieds le démon vaincu. Semblable au cerf spirituel, par la ferveur de son âme, il se nourrit sur les hauteurs des prophètes et des apôtres , et se rassasie de leurs plus sublimes mystères. Fortifié par cette céleste nourriture , il se pénètrera tellement des sentiments exprimés dans les Psaumes, qu'il ne paraîtra plus les réciter de mémoire, mais les composer lui-même, comme une prière qui découle du fond de son coeur; ou du moins il semblera qu'ils ont été faits pour lui spécialement, et que tout ce qui s'est passé en David s'accomplit encore dans sa personne.
En effet, nous comprenons plus clairement les saintes Écritures, et nous en pénétrons, pour ainsi dire, la moelle , la substance, lorsque l'expérience , non-seulement nous en donne l'intelligence, mais encore nous inspire à l'avance le sens des paroles mieux que toutes les explications des hommes. En ressentant dans notre coeur les sentiments qui ont fait composer un psaume, nous en devenons, pour ainsi dire, les auteurs ; nous le prévenons plus que nous ne le suivons ; nous en saisissons le sens avant d'en connaître la lettre. Nous nous rappelons , en le récitant , tout ce qui s'est passé en nous, nos combats de tous les jours, les suites de nos négligences, les conquêtes de nos efforts, les bienfaits de la Providence, ce que nous ont fait perdre les tentations de l'ennemi, le défaut de mémoire, la faiblesse humaine, l'imprévoyance et l'ignorance. Nous trouvons tous nos sentiments exprimés dans les Psaumes ; nous y voyons, comme dans un pur miroir, tout ce que nous aimons, et nous nous servons de leurs paroles, non pas comme si nous les avions apprises, mais comme si elles étaient nées naturellement de notre cœur, comme des fruits de notre expérience plutôt que de notre mémoire. Et c'est ainsi que notre âme arrive à cette perfection de la prière dont nous avons parlé dans notre dernière conférence, autant que Dieu nous en a fait la grâce. L'esprit alors n'est occupé d'aucune image, n'est troublé par aucune parole; il se laisse entraîner par une volonté, par une ardeur qui ne peut s'exprimer. L'âme s'élève au-dessus des sens et des choses visibles, et n'offre plus à Dieu que des soupirs et des gémissements inénarrables.