A L'ÉVÊQUE LÉONCE ET A HELLADE
Pour tenir la promesse que j'avais faite au bienheureux évêque Castor, j'ai exposé en douze livres, avec l'aide de Dieu et selon la mesure de mes forces, les institutions des cénobites et les re-mèdes de l'âme contre les huit vices principaux. Ces sujets si profonds et si sublimes n'avaient pas encore été traités, je crois. Je laisse à juger si mes soins et l'approbation du saint prélat les ont rendus dignes de vous, et de la pieuse attente de nos frères[^1].
Maintenant que le vénérable pontife nous a quitté pour aller à Dieu, j'ai pensé, bienheureux évêque Léonce, et vous, mon frère Hellade, devoir vous offrir un travail que, dans l'ardeur de son zèle et de sa charité, il n'avait pas craint de commander aussi à ma faiblesse. Ce sont dix conférences des anciens solitaires qui vivaient dans le désert de Schethé. Cet hommage vous était dû. L'un de vous était uni à ce saint homme par les liens du sang, par la dignité du sacerdoce et surtout par la piété de son esprit. C'était un héritage qui lui revenait comme à un frère. L'autre avait embrassé la vie sublime des anachorètes, non par présomption, comme tant d'autres, mais par l'inspiration du Saint-Esprit; il est entré, dès sa jeunesse, dans l'étroit sentier de la vie religieuse, pour suivre la tradition des Pères plutôt que les rêves de son imagination.
Garder le silence, serait rester au port, au lieu de m'exposer à l'immensité des mers, en voulant écrire sur les coutumes et les doctrines d'hommes si célèbres. Le danger est d'autant plus grand pour ma barque fragile , que la vie contemplative à laquelle se consacrent ces admirables solitaires est bien plus élevée et bien plus sublime que celle de peux qui sont en communauté. C'est donc un devoir pour vous d'aider mes efforts par vos saintes prières, afin que mon récit soit au moins fidèle et que mon peu de talent n'échoue pas dans un si noble sujet.
Nous avons traité, dans nos premiers écrits, de la règle extérieure et visible des moines; nous allons maintenant nous occuper de l'homme intérieur et passer de la prière canonique à cette prière continuelle que recommande tant l'Apôtre. Celui qui profitera du premier ouvrage sera semblable à Jacob triomphant dans les luttes de la chair, et celui qui suivra maintenant, non pas mes enseignements, mais ceux des Pères du désert, méritera, par la vue de la pureté divine, le nom d'Israël et connaîtra le vrai moyen d'atteindre la perfection. Que vos prières nous obtiennent de Celui qui nous a fait la grâce de voir ces saints solitaires, de recevoir leurs instructions et de partager leur vie, de nous rappeler parfaitement ce que nous avons entendu et de vous le redire fidèlement, de vous montrer ces modèles comme s'ils étaient vivants, et de bien traduire ce qu'ils exprimaient dans une langue étrangère.
Nous supplions, avant tout, ceux qui liront ces conférences et nos traités précédents, s'ils trouvent des choses qui leur paraissent dures et impossibles , de ne pas les juger d'après leur faiblesse, mais d'après la sainteté et la perfection de nos interlocuteurs. Pour bien les comprendre, il faut mourir, comme eux , au monde , aux affections terrestres et à tous les liens du siècle ; il faut penser aux solitudes qu'ils habitaient , à cette séparation complète des autres hommes. Ils avaient obtenu par là des lumières surnaturelles , et pouvaient contempler et raconter des choses qui paraissent impossibles à des âmes ignorantes et communes. Si quelqu'un veut bien les comprendre, qu'il s'applique d'abord à les étudier et à en faire l'expérience, et il verra que,non-seulement ce qu'il croyait trop élevé pour l'homme lui deviendra possible, mais qu'il y trouvera encore une douceur extrême. Les bienheureux solitaires vont maintenant nous instruire.