7.
La religion chrétienne se réjouissait de posséder ces deux sortes de religieux, lorsque commença à s'introduire dans leur sein un déplorable relâchement. Ce fut alors que parurent ces moines infidèles et maudits dont les ancêtres, aux premiers temps de l'Église, avaient été si sévèrement frappés par saint Pierre, dans la personne d'Ananie et de Saphire. Tous les religieux eurent en horreur cette secte abominable, tant que l'on conserva la mémoire de ce châtiment terrible, infligé par le prince des Apôtres, qui ne laissa pas aux coupables le temps du repentir et coupa, par une mort subite, le mal dans sa racine. Mais cet exemple d'Ananie et de Saphire s'effaça peu à peu par le temps et la négligence ; et l'on vit paraître la race des sarabaïtes, ainsi appelés par les Égyptiens, parce qu'ils se séparent des autres religieux, et pourvoient eux-mêmes à leurs besoins. Ils paraissent vouloir pratiquer la perfection de l'Évangile; mais ils recherchent plutôt les louanges que l'on donne à ceux qui préfèrent à tous les biens du monde, la nudité de Jésus-Christ. Lorsque par faiblesse ou par nécessité, ils viennent à embrasser la vie religieuse, ils tiennent beaucoup à passer pour des solitaires, sans en avoir les vertus. Ils ne veulent pas se soumettre à la règle d'un monastère et obéir aux ordres des supérieurs, pour apprendre à vaincre leurs volontés, en suivant leurs traditions. Ils négligent d'étudier les enseignements de leur sage expérience; et tout leur renoncement est extérieur. Ils restent dans leurs maisons et profitent du nom qu'ils portent pour vaquer à toutes leurs occupations ; ou bien ils se construisent des cellules qu'ils appellent des monastères, pour y vivre en toute liberté, sans se soumettre aux préceptes de l'Évangile, qui défendent de s'inquiéter de la nourriture de chaque jour, et de s'embarrasser des choses de ce monde. Ces préceptes ne sont observés que par ceux qui renoncent sincèrement à tous leurs biens, et qui se soumettent tellement à la règle d'un monastère, qu'ils ne sont plus maîtres d'eux-mêmes.
Ceux , au contraire , qui ne veulent pas vivre en communauté , se réunissent deux ou trois dans des cellules, sans vouloir obéir à un supérieur. Ils cherchent surtout à conserver leur liberté, afin de pouvoir courir çà et là, et s'occuper selon leur bon plaisir. Ils travaillent jour et nuit, plus que ceux qui sont dans les monastères, mais non pas avec la même foi et le même but; car ce n'est pas pour mettre en commun le fruit de leur travail, c'est pour gagner plus d'argent et thésauriser. Vous voyez quelle différence il y a entre ces religieux. Les uns ne pensent pas au lendemain et offrent avec joie à Dieu le fruit de leur travail; les autres pensent non-seulement au lendemain, mais à de nombreuses années; ils s'inquiètent de l'avenir et semblent croire que Dieu est impuissant ou menteur, et qu'il ne voudra ou ne pourra pas leur donner, comme il l'a promis, la nourriture et les vêtements nécessaires. Les uns désirent la privation et la pauvreté, les autres l'abondance de toute chose. Si les uns travaillent plus que la règle ne l'exige, c'est pour que le superflu du monastère puisse être distribué par les supérieurs dans les prisons, dans les hospices ou aux pauvres. Les autres, au contraire, n'emploient ce qui leur reste qu'à satisfaire leur fantaisie ou leur avarice.
Quand même ils emploieraient mieux ce qu'ils gagnent, ils seraient toujours loin de la vertu des premiers; car ceux-là, en renonçant chaque jour à ce qu'ils gagnent restent toujours dans une humble dépendance, et renouvellent sans cesse leur sacrifice, puisqu'ils abandonnent sans cesse ce qu'ils ont gagné par leur travail. Mais les autres, même en donnant quelque chose aux pauvres, s'enorgueillissent et se perdent chaque jour davantage. La patience et l'austérité des uns les font persévérer dans le renoncement de leur volonté, et vivre ainsi dans le crucifiement et le martyre, tandis que le relâchement des autres les fait descendre vivants en enfer. Les deux genres de religieux dont nous avons parlé, les cénobites et les anachorètes, sont presque en nombre égal dans ces contrées; mais dans les autres pays que les besoins de la foi m'ont obligé de parcourir, les sarabaïtes semblent être en très-grande majorité ; car du temps de Lucius , l'évêque arien , sous le règne de Valens, lorsque nous allions porter des aumônes à nos frères, qui avaient été exilés de l'Égypte et de la Thébaïde dans les mines du Pont et de l'Arménie , pour avoir été fidèles à la foi catholique, nous n'avons vu que dans très-peu de villes des religieux suivre la règle des cénobites, et nous n'avons jamais entendu parler d'anachorètes.