XXI.
Les païens tombent dans la dernière impiété par un déplorable aveuglement, pour ne pas savoir quel est l'objet de notre culte et quelle est la manière de le rendre. Ils adorent leurs ennemis. Ils offrent des sacrifices à des voleurs et à des homicides en mettant l'encens sur l'autel abominable. Ils y mettent aussi leurs propres âmes pour y être consumées. Ils entrent en colère de ce que les autres ne périssent pas par un aveuglement semblable au leur; car quel aveuglement plus grand que de ne pas voir le soleil ? S'il y avait des dieux, auraient-ils besoin du secours des hommes pour châtier ceux qui mépriseraient leur puissance? Si ces dieux manquent de pouvoir pour se venger, pourquoi les païens détruisent-ils la créance de ces dieux mêmes par la confiance qu'ils ont en leur pouvoir ? Ils sont en cela plus irréligieux envers leurs dieux que ceux qui refusent absolument de les reconnaître. Cicéron, parlant dans les livres des Lois, de la pureté avec laquelle on doit offrir les sacrifices, dit : « Apportez de la piété, et n'apportez pas de richesses ; quiconque en usera autrement, sera châtié par la justice de Dieu même. » Cela est fort bien dit; car il n'est pas permis de douter du pouvoir d'un dieu, et on ne l'honore qu'autant que l'on est persuadé qu'il est puissant. Comment vengerait-il les injures de ceux qui l'adorent s'il ne pouvait venger les siennes? Je demanderais volontiers aux païens à qui ils croient rendre un bon office quand ils usent de violence pour contraindre les chrétiens à sacrifier à leurs dieux. Est-ce aux chrétiens sur lesquels ils exercent cette violence? Le service que l'on rend à quelqu'un malgré lui ne lui est jamais agréable et ne passe point pour un bienfait; s'il a tort de le refuser, il faut l'instruire et le convaincre par la raison. Pourquoi les païens exercent-ils de si horribles cruautés sur des personnes dont ils ne désirent que le salut? Quelle étrange piété, d'estropier et de rendre inutiles ceux dont on prétend procurer les avantages! Que s'ils n'ont point d'autre intention en cela que de relever la gloire de leurs dieux, ils ne prennent pas garde que le sacrifice doit être libre, et que celui que l'on offre par contrainte, et pour éviter ou la prison ou d'autres mauvais traitements, n'est qu'une abomination et un sacrilège. S'il y avait des dieux qui voulussent être adorés de la sorte, ils mériteraient pour cela seul de ne l'être pas. Des dieux qui ne demanderaient que des gémissements, des larmes et du sang, seraient dignes d'exécration et d'horreur. Pour nous, nous ne demandons point qu'aucun adore notre Dieu malgré lui, bien qu'il soit le Dieu de tous les hommes, tant de ceux qui le reconnaissent comme nous le faisons, que de ceux qui refusent de le reconnaître. Nous avons une entière confiance dans le pouvoir qu'il a de châtier ceux qui le méprisent et ceux qui outragent ses serviteurs. C'est pour cela que nous ne disons pas une parole pour nous défendre contre ceux qui nous font les plus fâcheux et les plus injustes de tous les traitements ; nous mettons la vengeance entre les mains de Dieu. Ceux qui, pour s'attribuer la gloire d'être les défenseurs de leurs dieux, exercent des inhumanités brutales, tiennent une conduite bien différente de la nôtre. On peut conclure de ce raisonnement : que le culte des dieux est mauvais, puisque l'on n'y attire les hommes que par de mauvais moyens; au lieu que s'il était bon, il fournirait des moyens qui le seraient. S'il est mauvais, il n'est pas permis de le rendre. Mais ceux, dit-on, qui détruisent la religion méritent d'être châtiés. La détruisons-nous plutôt que les Egyptiens qui adorent la figure des plus vilains animaux, et d'autres objets que la pudeur ne permet pas dénommer? La détruisons-nous plutôt que les païens mêmes, qui se raillent publiquement des dieux qu'ils font profession d'adorer, et qui souffrent que les bouffons les exposent à la risée du peuple ? On a sans doute un fort grand respect pour des dieux que l'on adore dans les temples, et dont on se moque sur les théâtres. Ceux qui commettent ces sacrilèges, bien loin d'en recevoir aucun châtiment, en remportent de l'honneur et des louanges. Détruisons-nous la religion, plu tôt que quelques philosophes qui soutiennent qu'il n'y a point de dieux, que tout ce qui est au monde est né de soi-même, et qu'il n'arrive rien que par un effet du hasard? la détruisons-nous plutôt que les épicuriens, qui, bien qu'ils demeurent d'accord de l'existence des dieux, révoquent en doute leur providence, et soutiennent qu'ils ne se soucient de rien, et qu'ils ne sont ni contraires à ceux qui les outragent, ni favorables a ceux qui les adorent? Il est clair que ces sentiments tendent à abolir le culte de toute sorte de divinité. D'ailleurs, quand ces philosophes parlent contre la crainte, n'ont-ils pas dessein de persuader qu'il ne faut pas craindre les dieux. Ils débitent cependant ces maximes avec liberté, et on les écoule avec plaisir.