VII.
Bien que les philosophes se soient souvent éloignés de la vérité, et qu'ils soient tombés par ignorance dans une infinité d'erreurs, comme des voyageurs qui, ne sachant pas le chemin, et ayant honte de le demander, ne laissent pas de marcher toujours, et qui, plus ils marchent et plus ils s'égarent, il ne s'en est pourtant trouvé aucun parmi eux qui n'ait point mis de différence entre l'homme et les bêtes, et qui ait égalé une créature pourvue de raison aux animaux qui en sont privés. C’est cependant ce que font certains ignorants, qui étant semblables aux bêtes, et qui, ne cherchant non plus qu'elles que le plaisir de leur ventre, disent qu'ils n'ont point été mis au monde d'une autre sorte que les autres créatures qui respirent l'air, ce qu'il n'est pas sans doute permis à ces hommes d'avancer, car qui est-ce qui est assez ignorant pour ne pas savoir, ou assez stupide pour ne pas sentir qu'il a dans soi-même quelque chose de divin ? Je ne parle pas encore ici des avantages de l'âme ni de l'esprit, par lesquels l'homme a une union étroite avec Dieu, car la seule disposition de notre corps et la seule figure de notre visage suffisent pour faire voir que nous ne sommes point semblables aux bêtes. Elles sont toujours baissées vers la terre d'où elles tirent leur nourriture, et n'ont aucun rapport avec le ciel, qu'elles ne regardent jamais. Il n'y a que l'homme qui, ayant la taille droite et le visage élevé, est né pour contempler le ciel, pour chercher Dieu et pour le connaître. Aussi n'y a-t-il point d'autre animal que l'homme, comme dit Cicéron, qui ait quelque connaissance de Dieu. Il n'y a que lui qui ait reçu la lumière de la sagesse et qui puisse arriver à la connaissance de la religion, et c'est la principale ou l'unique différence qu'il y ait entre eux et les bêtes. Car, bien qu'il y ait d'autres avantages qui semblent lui être propres, il est vrai pourtant que les bêtes n'en sont pas absolument dépourvues. Il a, par exemple, l'avantage de la parole que les bêtes n'ont point; mais elles ont quelque usage de la voix, par où elles se connaissent et par où elles semblent donner des marques, tantôt de colère et tantôt de joie. Il est vrai que leur voix nous paraît inarticulée; peut-être aussi que la nôtre leur paraît telle, peut-être que les voix des bêtes sont articulées pour elles puisqu'elles les entendent. Enfin, elles ont des sons différents quand elles sont émues de différentes passions, et par ces sons elles expriment la disposition où elles se trouvent. Le rire est aussi propre à l'homme, et cependant on remarque dans les autres animaux quelque chose de semblable. On y voit des signes de joie quand ils se jouent, qu'ils flattent et qu'ils s'adoucissent. Il n'y a rien de si propre à l'homme que la raison et la prévoyance de l'avenir. Il y a pourtant des animaux qui préparent plusieurs issues dans les lieux où ils se retirent, afin que, s’ils étaient assiégés par un côté, ils se pussent sauver par un autre, ce qu'ils ne feraient pas s’ils n'avaient de la connaissance. Il y en a qui font des provisions, comme les fourmis, qui amassent des grains de blé pour les nourrir durant l'hiver ; comme les abeilles, qui connaissent le lieu où elles sont nées et où elles demeurent, et qui travaillent pendant l'été pour avoir de quoi se nourrir pendant l'hiver. Je serais trop long si je voulais rapporter toutes les manières par lesquelles les animaux semblent imiter le soin et l'industrie des hommes. Mais, s'ils l'imitent en plusieurs choses, il est certain qu'ils ne l’imitent point en ce qui est de la religion, dont on ne peut seulement s'imaginer qu'il y ait parmi eux la moindre trace. La religion a comme pour sa marque particulière la justice à laquelle nul animal n'a de part Car il n'y a que l'homme qui commande en maître, et les animaux sont comme des esclaves achetés à prix d'argent. La justice excite à la religion et oblige à rendre à Dieu le culte qui lui est dû. Quiconque ne lui rend point ce culte s'est dépouillé des sentiments de l'humanité et mène une vie de bête sous l'apparence d'un homme. Puisque la principale, ou même l'unique différence qu’il y ait entre nous et les animaux consiste dans ce que nous avons seuls la connaissance de Dieu, il n'y a point d'apparence que nous nous trompions en ce point et que les bêtes aient la raison de leur côté, puisque c'est par la raison et par la sagesse que l'homme est élevé au-dessus de tous les êtres qui ont de la vie et du sentiment. Que si la connaissance que l’homme a de Dieu le met au-dessus des autres animaux, il est clair que la religion, par laquelle il l'honore, doit subsister.