1.
Polybe de Mégalopolis ayant entrepris d’écrire l’histoire de son temps, a cru devoir remarquer que les Romains, n’ayant pas fait de grandes conquêtes durant les six premiers siècles qui se sont écoulés depuis la fondation de leur ville, et qu’ayant perdu une partie de l’Italie après la descente d’Annibal et la défaite de Cannes, et s’étant vus assiégés dans leur capitale, ils sont montés, en moins de cinquante-trois ans, à un si haut point de puissance, qu’ils ont réduit à leur obéissance l’Italie, l’Afrique et l’Espagne, et que, portant leur ambition plus loin, ils ont traversé le golfe Ionique, assujetti la Grèce et la Macédoine, et pris vivant le roi de cette nation vaincue. De si glorieux exploits ne pouvant être attribués aux forces humaines, il faut reconnaître qu’ils procèdent de l’ordre des destinées, de l’influence des astres ou de la volonté de Dieu, qui seconde la justice de nos entreprises. Cette volonté souveraine est la cause véritable de tout ce qui arrive ici-bas, et ceux qui ont assez de lumières pour suivre ses traces remarquent sans peine qu’elle rend nos affaires florissantes dans les temps où il y a abondance de bons esprits, au lieu que quand il y en a disette, elle les laisse tomber dans le pitoyable état où nous les voyons. Il faut apporter des exemples pour confirmer la vérité de ce que je dis.