XXXII.
Il ne faut pas s'étonner si nos ennemis nous imputent les crimes qu'ils attribuent à leurs dieux, dont ils célèbrent les passions sous le nom de mystères. Mais du moins, puisqu'ils réprouvent si fort en nous les unions incestueuses formées dans l'ombre et au hasard, ils auraient dû montrer d'abord leur aversion pour Jupiter, qui eut de enfants de Rhéa, sa mère, et de sa fille Proserpine, et qui épousa sa propre sœur ; ou condamner Orphée, l'inventeur de ces turpitudes, cet Orphée qui nous a représenté Jupiter plus infâme que Thyeste lui-même. Car ce dernier, en souillant sa propre fille, ne fit qu'obéir à un oracle qui lui assurait que c'était le seul moyen de se venger et de conserver son royaume. Pour nous, nous sommes si éloignés de semblables crimes, qu'il ne nous est pas même permis de regarder une femme avec un mauvais désir :
« Celui qui regarde une femme avec la pensée du mal, dit notre maître, a déjà commis l'adultère dans son cœur. »
Comment seraient-ils des impudiques, ceux qui ne se servent de leurs yeux que pour éclairer le corps, selon l'intention du créateur; ceux, dis-je, qui se croient comptables devant Dieu non seulement de leurs actions, mais encore de leurs pensées, et pour qui un regard trop complaisant est un adultère, parce que les yeux ont été faits pour un autre usage? Car il n'en est pas de la loi que nous observons comme des lois humaines auxquelles le méchant peut quelquefois se soustraire : ainsi que je vous le démontrais naguère, grands princes, c'est notre Dieu qui nous l'a donnée, et cette divine loi règle tous nos devoirs envers nous-mêmes et envers le prochain.
Selon la différence de l'âge, nous regardons les uns comme nos enfants, les autres comme nos frères et nos sœurs, et nous honorons les vieillards comme nos pères et nos mères; aussi avons-nous grand soin de conserver l'innocence de ceux que nous regardons comme nos parents, et a qui nous donnons ces doux noms de famille; l'Écriture, parlant du baiser dont le plaisir serait le motif, ajoute : « Il faut donner avec la plus grande précaution le baiser ou plutôt la salutation, parce qu'elle nous exclut de la vie éternelle, pour peu qu'elle souille la pensée. »