XXII.
Puisque la vertu est de l'homme , et que le vice qui lui est opposé n'appartient point à l'âme séparée du corps ou existant par elle-même, peut-on raisonnablement en faire le partage exclusif de l'âme et transporter sur elle seule le châtiment ou la récompense ? Comment est-il possible d'imaginer même la constance et la force, dans l'âme considérée à part, elle qui n'a point à craindre la mort, ni les blessures, ni la mutilation, elle qui ne redoute aucun accident, ni les fouets sanglants, ni la douleur qui en résulte, ni les maux qui naissent de cette douleur? Comment concevoir la continence et la tempérance dans une âme qui seule ne serait jamais poussée au désir de manger et de boire, de se livrer à la volupté, aux plaisirs des sens; que rien ne troublerait au dedans, que rien n'irriterait au dehors? Comment concevoir en elle la prudence, si elle n'a rien à faire, rien à omettre, rien à choisir, rien à éviter ; si enfin elle n'a en elle-même ni mouvement, ni élan naturel pour agir extérieurement? Comment enfin la justice pourra-t-elle convenir aux âmes, soit entre elles, soit à l'égard de quelque autre créature d'une nature semblable ou différente, puisqu'elles n'ont ni raison, ni moyen aucun de distribuer la justice proportionnellement, et de la mesurer au mérite, excepté toutefois le respect qu'elles doivent à Dieu? Puisqu'en outre elles n'ont ni aptitude, ni ardeur pour jouir de ce qui leur appartient, ou s'abstenir de ce qui est à autrui ; (car l'usage-ou la privation des choses naturelles regarde ceux qui sont nés pour en jouir.) Or, l'âme est sans besoins, elle est incapable, par sa nature, de pouvoir user d'un objet plutôt que d'un autre ; voilà pourquoi nous ne pouvons préciser, dans une telle constitution, la fonction propre de chacune des substances qui composent l'homme.