Chapitre XLIV
Antoine ayant ainsi parlé, son discours remplit de joie tous les assistants, augmenta dans les uns l’amour de la vertu, chassa de l’esprit des autres la négligence, fit cesser la vanité de ceux qui avaient trop bonne opinion d’eux-mêmes, les persuada tous de mépriser les embûches des démons et les remplit d’admiration pour la grâce si particulière que Dieu lui avait faite de discerner les esprits. Il y avait donc dans les montagnes des monastères qui étaient comme autant de temples remplis de chœurs divins de ces personnes qui passaient leur vie à chanter des psaumes, à étudier l’Ecriture sainte, à jeûner, à prier, à mettre leur consolation dans l’espérance des consolations à venir, à travailler de leurs mains pour pouvoir donner l’aumône et à vivre tous ensemble dans une parfaite charité et une union admirable.
Ainsi l’on pouvait voir véritablement en ces lieux-là, comme une région séparée de tout le reste du monde, dont les heureux habitants n’avaient point d’autres pensées que de s’exercer à la piété et à la justice. Il n’y avait personne qui fit tort à autrui, ou qui en reçut ; et l’on n’y entendait point la voix menaçante de ces rigoureux créanciers (Jb 32) : mais tout était rempli d’une grande multitude de solitaires, qui n’avaient tous d’autre dessein et d’autre désir que de s’avancer dans la vertu. En voyant ces monastères et la discipline admirable dans laquelle ils vivaient tous, il y avait sujet de s’écrier :
Que tes pavillons sont beaux, ô Jacob,
Et tes tentes, Israël !
Elles sont comme des vallées ombragées de bois,
Comme des jardins arrosés par des ruisseaux ;
Comme des tabernacles dressés par la main du Seigneur,
Et comme des cèdres proche des eaux (No 24, 5-6).