Chapitre LXVII
Il supportait les maux avec une très grande patience, et avait une très basse opinion de lui-même. Il révérait les règles de l’Eglise au-delà de tout ce qu’on peut dire : c’est pourquoi il voulait que le moindre clerc lui soit préféré en toutes choses. Il n’avait point de honte de baisser la tête devant les évêques et les prêtres pour leur demander leur bénédiction, et s’il arrivait que quelque diacre qui avait besoin de son assistance vienne le visiter, après lui avoir dit ce qu’il désirait apprendre de lui pour son utilité, lui-même le priait de lui parler des choses spirituelles, n’ayant point honte d’apprendre. Et souvent il s’enquérait de ce qu’il croyait ignorer ; ne dédaignant pas écouter tous ceux qui étaient présents, il avouait avoir appris de ce que chacun avait dit de bon.
Entre autres choses dont Notre Seigneur l’avait favorisé, une grâce merveilleuse paraissait sur son visage. Elle était telle que s’il était au milieu d’un grand groupe de solitaires et si quelqu’un qui désirait le voir sans le connaître encore arrivait, il quittait tous les autres et courait vers lui, tant son regard avait une force attractive sur ceux qui le voyaient. Il ne surpassait pas les autres par la taille, ni par le grosseur ; mais il les surpassait par la douceur de ses mœurs et par la pureté de son âme qui, étant exempte du trouble des passions répandait au dehors cette tranquillité dont elle jouissait en elle-même. Ainsi, comme la joie qu’elle ressentait se lisait sur son visage, on pouvait juger, par toutes les actions et les mouvements de son corps, de l’état de son âme, selon cette parole de l’Ecriture : La joie du cœur réjouit le visage, et la tristesse l’abat et l’afflige (Pr 15, 1). Ainsi Jacob reconnut que Laban avait conçu quelque mauvais dessein contre lui et dit à ses femmes : Le visage de votre père n’est pas comme il était hier et avant-hier (Gn 31, 5). Ainsi Samuel reconnut David à ses yeux pleins de douceur et de gaieté, et à ses dents aussi blanches que le lait1. Et ainsi l’on reconnaissait Antoine : car la tranquillité de son âme faisait qu’il n’était jamais troublé et la joie de son esprit l’empêchait d’avoir jamais le visage triste.
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Il s’agit en réalité de Juda (Gn 49, 12). ↩