9.
Et Dieu fit deux grands corps lumineux. Comme la grandeur se prend, ou dans un sens absolu, dans lequel sens nous disons que le ciel est grand, que la terre et la mer sont grandes ; ou le plus souvent par comparaison avec un autre corps, ainsi un cheval et un boeuf sont grands, non par l'étendue extraordinaire de leur corps , mais parce qu'on les compare avec des êtres de même nature : dans quel sens prendrons-nous ici l'expression de grandeur ? Est-ce dans le sens que nous appelons grande une fourmi, ou quelque autre petit animal , jugeant de leur grandeur par comparaison avec d'autres êtres de même espèce ; ou dans le sens qu'une grandeur absolue se montre dans la constitution des corps lumineux ? c'est sans doute dans ce dernier sens. Car le soleil et la lune sont grands, non parce qu'ils sont plus grands que les autres astres, mais parce que telle est leur circonférence, que la splendeur qu'ils répandent éclaire le ciel et l'air, embrasse a la fois a a terre et la mer. Dans quelque partie du ciel qu'ils se trouvent, soit qu'ils se lèvent, soit qu'ils se couchent, soit qu'ils soient au milieu de leur course, ils paraissent de toutes parts également grands aux hommes, ce qui est un témoignage évident de leur grandeur immense, parce que, malgré l'étendue de la terre, ils ne paraissent nulle part ni plus grands, ni plus petits. Nous voyons plus petits les objets éloignés ; à mesure que nous en approchons, nous en découvrons la grandeur. Mais personne n'est plus proche ni plus éloigné du soleil, qui s'offre de la même distance à tous les habitants de la terre. Ce qui le prouve, c'est que les Indiens et les Bretons le voient de la même mesure. Non, il ne paraît ni moins grand, lorsqu il se couche, aux peuples orientaux, ni plus petit, lorsqu'il se lève, aux nations occidentales ; et, lorsqu’il occupe le milieu du ciel, il ne change ni pour les uns ni pour les autres.
Que l'apparence ne vous trompe pas, et parce qu'il ne vous paraît que d'une coudée, ne croyez point qu'il n'ait qu'une coudée. Dans les longues distances, la grandeur des objets diminue , parce que notre faculté visuelle ne peut parcourir tour L'espace intermédiaire, mais que s'usant, pour ainsi dire, dans l'intervalle, elle n'arrive aux objets qu'avec une petite partie d'elle-même1. C'est donc la petitesse de notre vue qui nous les fait juger petits, parce qu'elle transporte sur eux sa propre faiblesse Or, si notre vue se trompe, il s'ensuit que ce n'est pas un moyen sûr de connaître la vérité. Rappelez-vous ce qui vous est arrivé quelquefois, et vous trouverez dans vous-même la preuve de ce que je dis. Si du sommet d'une haute montagne vous avez jamais jeté les yeux sur une grande étendue de plaine, que vous ont paru les boeufs attelés et les laboureurs eux-mêmes ? ne vous ont-ils pas présenté l'apparence de fourmis? Si du haut d'une guérite vous avez promené vos regards sur une vaste mer, que vous ont paru grandes îles? que vous a paru un grand navire porté avec ses voiles blanches sur une plaine d'azur? ne vous ont-ils pas offert. l'apparence d'une petite colombe ? Pourquoi? c'est, je le répète, que notre vue s'usant dans l'air et s'affaiblissant, est incapable de saisir exactement les objets. Les plus hautes montagnes, coupées de profondes vallées , notre vue nous annonce qu'elles sont rondes et unies, parce que se portant sur les seules éminences, elle ne peut, à cause de sa faiblesse, pénétrer dans les profondeurs intermédiaires. Ainsi elle ne conserve pas les vraies figures des corps, mais les tours quadrangulaires elle les juge ronds. Il est donc prouvé de toutes parts que, dans les grandes distances, nous ne saisissons des corps qu'une forme confuse et imparfaite.
Le soleil est donc un grand corps lumineux, d'après le témoignage de l'Écriture, et infiniment plus grand qu'il ne nous paraît.
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Suivant la bonne physique , ce n'est point la faiblesse de notre vue qui nous empêche de voir les objets éloignés tels qu'ils sont: nous les voyons plus petits , parce que l'angle sous lequel leur image se trace dans l'œil diminue à mesure que les distances augmentent ↩