CHAPITRE XIII
[1] La septième année de la lutte contre nous s'achevait, et tout doucement pour ainsi dire, nos affaires prenaient une allure tranquille qui n'avait rien d'excessif; on allait vers la huitième année. Aux mines de cuivre de Palestine, se trouvait rassemblée une multitude considérable de confesseurs qui jouissaient d'une grande liberté, à ce point qu'ils bâtissaient des maisons pour églises. Le chef de la préfecture, cruel, méchant et 295 tel que le montre ce qu'il accomplit contre les martyrs, lit là un séjour et apprit le genre de vie de ceux qui s'y trouvaient. Il en fait part à l'empereur, comme il lui plut, dans une description écrite en vue de calomnier. [2] Plus tard, survient aussi l'intendant des mines, et comme sur un ordre de l'empereur, il divise en plusieurs groupes la multitude des confesseurs. Aux uns il assigne Cypre comme séjour, aux autres le Liban ; le reste il le disperse dans d'autres contrées de la Palestine ; pour tous il donne l'ordre de les accabler de travaux de toutes sortes. [3] Puis quatre d'entre eux paraissant surtout être à leur tête sont choisis par lui et envoyés au chef des armées de ce pays. C'étaient Pelée et Nil, évoques des Égyptiens, ainsi qu'un autre prêtre et en outre de ceux-ci, le plus connu de tous pour son zèle envers tout le monde, Palermuthios. Le chef militaire leur demande le reniement de leur foi religieuse, et ne l'obtenant pas, il les livre à la mort par le feu.
[4] D'autres encore se trouvaient là, qui avaient obtenu d'habiter chez eux dans un canton à part. C'étaient des confesseurs qui, soit à cause de vieillesse, ou de mutilations ou d'autres infirmités du corps, étaient exempts de service dans les travaux. Leur chef était un évêque originaire de Gaza, Silvain ; il portait en lui le type de la prudence et le modèle authentique du christianisme. [5] Celui-là certes, on peut le dire, depuis le premier jour de la persécution et pendant tout le temps qu'elle avait duré, s'était distingué dans les combats de toutes sortes de confessions. Il avait été conservé pour ce moment, afin qu'il pût devenir le sceau final de toute la lutte en Palestine.
207 [6] Avec lui, il y avait encore un grand nombre d'Égyptiens, parmi lesquels se trouvait aussi Jean, qui pour la puissance de la mémoire dépassait tous nos contemporains. Auparavant déjà, il avait été privé des deux yeux, et cependant, dans les confessions où il se distingua, il eut comme les autres le pied rendu inerte par les fers rouges, et dans ses yeux qui ne voyaient plus, il reçut la même brûlure du feu. Ce fut à ce point de férocité et de dureté que les bourreaux poussèrent la cruauté et l'inhumanité de leur conduite. [7] On pourra admirer qu'il fût tel dans son caractère et sa vie de philosophe ; mais cela ne paraîtra pas aussi étonnant que la puissance de sa mémoire. C'étaient des livres entiers des Saintes Écritures qu'il avait écrits non pas sur des tables de pierre, comme dit le divin apôtre, ni sur des peaux d'animaux, ou des papiers que les vers ou le temps détruisent, mais vraiment sur les tables de chair de son cœur, avec son âme lumineuse et avec l'œil très pur de l'intelligence. Aussi bien faisait-il sortir de sa bouche, quand il voulait, comme d'un trésor de discours, tantôt un texte de la loi et des prophètes, tantôt un passage des livres historiques, de l'évangile ou des écrits apostoliques. [8] J'ai été alors frappé moi-même, je le confesse, la première fois que je vis cet homme au milieu d'une foule considérable, dans une église, se tenant debout et récitant des parties de la Sainte Écriture. Tant qu'il ne me fut possible que d'entendre sa voix je pensai que quelqu'un lisait, comme il est d'usage dans les assemblées ; mais lorsque je fus tout près, je vis la réalité du fait. Tout le monde avec des yeux sains était un cercle autour de lui, et lui avec le seul 299 secours des yeux de l'intelligence, parlait sans artifice comme un prophète, et il remportait de beaucoup sur ceux qui ont les ressources de leurs corps, le ne savais vraiment pas comment rendre gloire à Dieu et admirer et il me semblait voir une preuve évidente et ferme dans les faits eux-mêmes que l'homme véritable n'est pas celui qui paraît dans son corps visible, mais seulement celui qui est selon l'Ame et l'intelligence et qui montre que la vertu de la puissance qui habite en lui est. supérieure à son corps mutilé.
[9] Les chrétiens désignés plus haut vivaient donc dans le lieu qui avait été assigné, et ils accomplissaient ce qui leur était accoutumé, comme jeûnes, prières et le reste de leurs exercices. Dieu, d'une part, Dieu lui-même les jugea dignes d'obtenir la consommation du salut, en leur tendant une main qui exauce; l'ennemi hostile, d'autre part, n'était plus à même de supporter ceux qui s'armaient dans le plus grand calme contre lui par les prières qu'ils adressaient à Dieu. Il pensa qu'il fallait les tuer et les faire disparaître de la terre comme des gêneurs. [10] Dieu lui permit d'entreprendre cela encore, afin que, tout ensemble, celui-ci ne fût pas détourné de la malice qui était selon son dessein, et que ceux-là reçussent alors enfin les prix de leurs combats si variés. C'est ainsi qu'au nombre de trente-neuf, par ordre du très exécrable Maximin, en un seul jour, ils furent décapités.
[11] Ces martyres furent accomplis en Palestine pendant huit années entières, et telle fut la persécution contre nous. Elle avait commencé par la destruction des églises; elle continua et grandit par les mesures violentes 301 des princes suivant les temps; alors les combats de toutes sortes et de toutes variétés des athlètes de la religion produisirent une innombrable multitude de martyrs en chaque province, dans les contrées qui s'étendent de la Libye à travers toute l'Egypte, la Syrie et le pays d'Orient et d'alentour, jusqu'à celles de l'Illyricum. [12] Ceux en effet qui étaient au delà des régions citées, toute l'Italie, la Sicile, la Gaule et tout ce qui est au couchant, en Espagne, Maurétanie et Afrique, ne supportèrent pas pendant les deux premières années entières, la guerre de la persécution. Ces pays furent jugés dignes et d'une très rapide intervention de Dieu et de la paix; la Providence céleste épargna la simplicité et la foi de ces hommes-là. [13] Ce qui ne s'est jamais vu aux temps reculés de l'empire romain, pour la première fois se produisit à notre époque contre toute attente. L'empire était en effet séparé en deux par la persécution de notre temps. La paix était le lot des frères qui habitaient dans la partie que nous venons d'indiquer ; ceux qui étaient dans l'autre avaient à supporter mille combats. [14] Mais lorsque la divine et céleste grâce montra à notre égard un soin bienveillant et miséricordieux, alors les princes nos contemporains, ceux-là mêmes qui conduisaient depuis longtemps les guerres de notre temps, changèrent de sentiments d'une façon très miraculeuse, et chantèrent une palinodie. Par d'excellents édits et des ordonnances empreintes de douceur portées à notre sujet, ils éteignirent l'incendie allumé contre nous. Il faut encore consigner par écrit cette rétractation.