CHAPITRE IV (version brève)
[1] Maximin César à partir de ce moment arrivant au 185 pouvoir se montre à tous comme le type de l'hostilité qui lui était innée contre Dieu et de l'impiété ; c'est d'une façon plus fougueuse que ses prédécesseurs qu'il se met à la persécution contre nous. [2] Sur tous en vérité plane un trouble immense; chacun se disperse de son côté et met son soin à éviter le malheur; une agitation pénible a tout envahi. Quel discours nous pourrait suffire pour raconter dignement l'amour de Dieu, l'indépendance de langage dans la confession de la divinité, dont fit preuve le martyr bienheureux qui fut vraiment une victime innocente, je veux dire Apphianos ? devant les portes il montra à tous les habitants de Césarée un admirable exemple de piété envers le Dieu unique.
[3] Il n'avait pas encore vingt ans pour l'âge du corps. Tout d'abord, pour son éducation grecque et profane (car il était de parents tout à fait riches selon le monde), 187 il avait passé la plus grande partie de son temps à Bérylé ; et c'est merveille de dire comment dans une telle ville, il devint supérieur aux passions de la jeunesse ; ni la vigueur du corps, ni la fréquentation des jeunes gens n'altérèrent sa conduite ; il embrassa la chasteté et ce fut avec décence, gravité et piété, selon la doctrine conforme au christianisme qu'il dirigea et disciplina sa vie. [4] S'il faut faire mention de sa patrie et procurera celle-ci l'honneur qui lui revient en raison de l'athlète valeureux de la religion qui est sorti d'elle, nous le ferons encore volontiers. [5] Si quelqu'un connaît Gagae, 189 ville non obscure de Lycie, c'est de là qu'est venu ce jeune homme, après son retour de l'éducation de Béryte. Son père lui apportait les premiers honneurs de sa patrie ; mais il ne put supporter le commerce habituel de son père et de sa parenté, parce qu'ils ne se décidaient pas à vivre selon les lois de la religion. Possédé comme par un esprit divin, raisonnant selon une philosophie innée ou plutôt inspirée de Dieu et véritable, s'élevant plus haut que la soi-disant gloire du siècle et méprisant la mollesse du corps, il s'éloigna en secret de ses parents sans s'inquiéter de ses dépenses journalières. C'était l'espérance et la foi en Dieu qui le conduisaient et l'Esprit divin qui le menait parla main à la ville de Césarée, où se préparait pour lui la couronne du martyre pour la religion. [6] C'est avec nous-mêmes qu'il a vécu; le plus possible, il puisait, aux divines fioritures un tempérament moral achevé et par des 191 exercices convenables, il se préparait très généreusement à donner le spectacle d'une telle fin. [7] Qui donc à le voir deux fois n'en aurait été frappé ? qui donc à l'entendre à nouveau n'aurait admiré justement l'audace, l'indépendance, la constance, et au-dessus de cela la hardiesse et l'ardeur dans l'offensive qui est la preuve d'un zèle religieux et d'un esprit vraiment surhumain?
[8] Une seconde attaque se produisait en effet contre nous de la part de Maximin dans la troisième année de la persécution, et l'édit de ce prince fut pour la première fois répandu, prescrivant que tous en masse et ensemble, par le soin et le zèle des magistrats de chaque ville, 193 eussent à sacrifier. Les crieurs dans toute la ville de Césarée convoquaient les hommes avec les femmes et les enfants aux maisons des idoles, selon l'ordre du gouverneur. En outre, les tribuns faisaient l'appel nominal de chacun d'après une liste. Partout on était submergé dans une indicible tempête de malheur. Alors, intrépidement le jeune homme cité plus haut, sans que personne fût dans la confidence de ce qu'il allait faire, sans qu'il eût été aperçu par nous qui étions avec lui dans la maison, ni au reste, davantage, par toute l'escorte militaire qui entourait le gouverneur, s'avance vers Urbain qui faisait une libation; il lui saisit tranquillement la main droite, et l'empêche sur le moment 195 de sacrifier; puis, crime manière tout à fait insinuante et avec une divine assurance, il l'exhorte à cesser cet errement; car il n'est pas bien de laisser l'unique et seul vrai Dieu pour sacrifier aux idoles et aux démons. [9] Cela, ainsi qu'il semble, fut entrepris par ce tout jeune homme, sous l'influence de la puissance divine qui le poussait. Par cet acte, elle proclamait pour ainsi dire que les chrétiens vraiment tels sont si éloignés, une fois qu'ils ont cru à la religion du Dieu de l'univers, d'en changer, que non seulement ils sont au-dessus des menaces et des châtiments qui les .suivent, mais encore qu'ils ont plus d'indépendance dans leurs discours ; leur langue courageuse ne tremble plus, elle parle encore plus librement, et ils exhortent 197 même ceux qui les persécutent à laisser, si cela était possible, leur ignorance pour reconnaître celui qui seul est Dieu. [10] Alors, celui qui est le sujet de ce discours, tout aussitôt, ainsi qu'il fallait s'y attendre, après un acte si audacieux, fut à la manière des bêtes féroces assailli de tous côtés par les gens de l'entourage du gouverneur ; il supporta les coups qui pleuvaient sur tout son corps avec un très grand courage, jusqu' a ce qu'on le mît pour le moment en prison. [11] Là, durant le jour et la nuit, on lui plaça les deux pieds dans les ceps, et le lendemain il fut conduit au juge. Ensuite pendant qu'on le contraignait à sacrifier, il fit voir une absolue fermeté d'âme dans des tourments et des souffrances qui font frémir. Il eut les flancs déchirés, non pas une seule 199 fois ni deux, mais à de nombreuses reprises, jusqu'aux os et aux entrailles elles-mêmes. Il fut si souvent frappé à la tête et. sur le cou que ceux mêmes qui l'avaient parfaitement connu autrefois ne reconnaissaient plus son visage tuméfié. [12] Mais, comme il ne cédait pas à de si grands tourments, on lui enveloppa les deux pieds avec des linges imbibés d'huile et les bourreaux eurent l'ordre d'y mettre le feu. Les souffrances qu'en éprouva le bienheureux me paraissent dépasser tout discours. Le feu, en effet, avant amolli ses chairs, 201 pénétrait jusqu'aux os, si bien qu'a l'instar de la cire, s'épanchaient et coulaient goutte à goutte les humeurs de son. corps fondues par la flamme. [13] Pourtant, malgré cela, il ne fléchissait pas ; les 203 adversaires alors étaient vaincus et presque épuisés en présence de cette force surhumaine. Il fut de nouveau enfermé en prison et trois jours après, ramené encore vers le juge ; il affirma persister dans sa résolution et, quoiqu'un reste il lut à moitié mort, on le livra au bourreau pour être plongé dans la mer.
[14] Quant à ce qui arriva aussitôt après, il n'est pas invraisemblable que ceux qui ne l'ont pas vu ne le croiront pas; mais, quoique nous le sachions parfaitement, ce n'est pas une raison de ne pas livrer intégralement la vérité à l'histoire. Elle aura comme témoins de ce fait, pour tout dire d'un mot, tous les habitants de Césarée ; car aucun âge n'a été privé de ce spectacle miraculeux. [15] Tout aussitôt qu'on vit plonger au 205 milieu de la mer, dans les abîmes sans fond, cet homme réellement saint et trois fois bienheureux, un fracas subit et extraordinaire, ainsi qu'une secousse fit effondrer la mer elle-même et tout le rivage; la terre et la ville entière furent ébranlées par ce qui arrivait. Ce tremblement de terre miraculeux et soudain fit que le cadavre du divin martyr, comme si la mer ne pouvait pas le porter, fut rejeté par les flots devant les portes de la ville. Tels furent les faits concernant le prodigieux Apphianos. Ils s'accomplirent le deux du mois de xanthique, qui 207 serait le quatre avant les nones d'avril, un jour de parascève.
CHAPITRE IV (version longue)
[Au même second mois, martyre d'Apphianos et de .Edésios, frères utérins, le deux des noues d'avril.]
[1] Un serpent terrible et tyran cruel vient précisé- 185 ment à cette époque de recevoir le pouvoir contre tous et à partir de ce moment il s'élance pour ainsi dire de son foyer pour guerroyer contre Dieu. C'est d'une façon plus juvénile que ceux qui étaient avant lui, qu'il se met à la persécution contre nous. C'est Maximin. [2] Assurément, un trouble amer plane sur tous ceux qui habitaient les villes ; chacun se disperse de son côté et met son soin à échapper aux malheurs qui l'environnaient. Quel discours nous pourrait suffire pour raconter dignement l'amour divin du martyr Apphianos? [3] Il n'était pas encore arrivé à la vingtième année pour l'âge de son corps; 187 d'autre part, il descendait d'une famille de gens distingués de Lycie et placés au premier rang pour la fortune et les autres titres à la considération. Aussi ses parents avaient eu soin de l'envoyer aux écoles de Béryte pour faire ses études. Il y rassembla une provision de connaissances variées. Mais là n'est pas le sujet qui peut convenir au présent récit. [4] D'ailleurs, s'il faut transmettre la mémoire de l'acte merveilleux de celle âme toute sainte, il sera bon d'admirer comment, dans une ville pareille, il n'a pu être entamé par le contact et la société des jeunes gens, comment il a orné son âme de mœurs dignes d'un vieillard, quelle gravité de vie et de conduite il a établie en lui, comment il a résisté à la vigueur du corps et à la fréquentation de la jeunesse, de quelle manière il a jeté dans son âme la tempérance comme fondement des biens, comment il a embrassé une chasteté et une pureté absolue et discipliné lui-même sa vie avec une gravité conforme à la religion. [5] Après une formation 189 suffisante, il revint à Béryte au foyer de son père ; mais parce qu'il ne lui était pas possible de vivre avec ceux de sa parenté à cause de la dissemblance de leur genre de vie, il quitte en secret les habitants de ce séjour, sans le moins du monde s'inquiéter de ses dépenses journalières ; il est guidé par sa foi sincère et parfaite et il est conduit par la puissance de Dieu vers notre ville où lui était préparée la très précieuse couronne du martyre. [6] C'est avec nous-mêmes qu'il a vécu, qu'il a été formé aux sciences divines, exercé aux Saintes Écritures par Pamphile le grand 191 martyr, et qu'il s'est acquis un extraordinaire tempérament pour la vertu. Aussi bien, après avoir dès lors préparé la perfection du martyre, la suite du récit montrera quelle fin il a donnée en spectacle. [7] Qui après l'avoir vu n'en aurait été frappé? Après l'avoir entendu, qui n'en a admiré l'audace, l'indépendance, la constance, la maîtrise de soi, ses paroles au juge, ses réponses, sa prudence, et au-dessus de tout cela la hardiesse elle-même et l'ardeur dans l'offensive qui respirait une piété divine et forte envers Dieu le Souverain Roi ?
[8] La seconde attaque générale se produisit en effet contre nous lors de la troisième année de la persécution; alors l'édit de Maximin venait d'arriver. Il y ordonnait que par le soin et le zèle des magistrats de chaque ville, tous en masse eussent à sacrifier et à faire des libations 193 aux démons. Sur-le-champ, dans toutes les villes, les crieurs publièrent que les hommes, les femmes et les enfants eussent à se rendre aux maisons des idoles. D'autre part, les tribuns et les centurions allèrent dans chaque demeure et au croisement des chemins ; ils dressèrent des listes de citoyens et les contraignirent à faire ce qui était ordonné. Tandis que tous étaient partout surpris par cette indicible tempête de malheurs, le très saint martyr de Dieu, Apphianos, entreprend une chose qui dépasse tout discours. Personne ne sut ce qu'il exécutait (et il ne fut même pas aperçu de nous qui étions dans la maison avec lui). Il s'élance donc vers le gouverneur même de la nation ; il arrive tout à coup sans être vu de toute l'escorte militaire qui entourait le gouverneur, s'avance vers Urbain qui faisait une libation, lui saisit la main droite et empêche l'action ido- 195 lâtrique. Puis avec une très grande douceur et une assurance divine, il l'exhorte à cesser cet errement; car il n'est pas permis de se détourner du seul, unique et véritable Dieu pour sacrifier à des idoles sans âme et à des esprits mauvais. [9] C'était bien Dieu même qui opérait par ce tout jeune homme la confusion des impies; c'était à cela que le poussait la puissance de notre Sauveur. Par cet acte, elle proclamait pour ainsi dire, que ses soldats, ceux du moins qui le sont, réellement, sont si loin de se laisser amener aux sentiments des athées, que non seulement ils méprisent les menaces et toute mort, mais encore qu'ils s'abstiennent d'aller à ce qui est moins bon, qu'ils montrent avec une généreuse résolution et une langue intrépide, une absolue liberté de parole à l'égard de tous, et qu'alors ils essaient 197 eux-mêmes, si cela était possible, de persuader aux persécuteurs d'abandonner leur ignorance et de reconnaître le Sauveur universel et seul Dieu véritable. [10] Cependant les serviteurs des démons, les soldats de l'escorte, atteints dans leurs esprits comme par un fer rouge, se mettent à bondir. Ils frappent au visage et foulent aux pieds celui qui est gisant à terre, et à force de le broyer, ils lui déchirent la bouche et les lèvres. Il supporte tout cela d'une façon très courageuse, jusqu'à ce qu'il soit conduit dans le cachot ténébreux de la prison [11] Là, il est placé durant le jour et la nuit les pieds dans les ceps, et le lendemain, il paraît devant les tribunaux. Alors le noble gouverneur de la nation, Urbain, donna un spécimen de sa cruauté personnelle comme si c'était une si belle chose; il lit infliger toutes 199 sortes de supplices au martyr ; il ordonna de lui déchirer les flancs jusqu'aux os et même jusqu'aux entrailles, et d'accumuler tant de coups sur son visage et sur son cou qu'il n'était, plus possible de le reconnaître; sa figure était détruite. [12] Le martyr de Dieu, semblable à un diamant, était rendu plus fort encore dans son âme et dans son corps par la vertu divine qui l'inspirait. Tandis que le juge lui posait des questions multiples, il ne répondait rien autre, sinon qu'il avouait être chrétien. Puis, comme on lui demandait qui et d'où il était et où il demeurait, sa seule confession consistait à dire qu'il était un serviteur du Christ. Le juge alors, se laissant aller à la démence et excité par l'invincible parole du martyr, ordonne qu'on lui entoure les pieds de linges imbibés d'huile et qu'on y mette le feu. Les bourreaux accomplissent l'ordre, et le martyr est .suspendu en l'air. Ce fut à ceux qui le virent un spectacle terrible, tellement ses lianes avaient été déchirés, tellement il était enflé et tellement la forme de son 201 visage était altérée. Le feu ardent lui brûla les pieds pendant longtemps, si bien que les chairs coulaient, fondues comme de la cire, et que le feu pénétrait à l'intérieur des os devenus semblables à des roseaux secs. [13] Mais celui qui endurait ces maux ne s'en souciait pas. Il avait au-dedans de lui le Dieu qui était son secours, et qui procure à tous son aide et sa présence aussi manifestement qu'on voit la lumière. C'est pour cela que le martyr était rempli d'une intrépidité plus grande et d'une indépendance de langage plus entière. Aussi bien, c'était d'une voix très haute que, dans son discours, il proclamait sa confession envers le Dieu pour qui il était martyr, et qu'il rendait témoignage à la puissance du Sauveur Jésus par qui il était assisté et qui faisait voir ces merveilleux spectacles comme dans un très grand théâtre. Les adversaires enrageaient comme des démons, et leur âme était pénétrée de douleur comme s'ils eussent eux-mêmes enduré ces souffrances terribles. Ils grinçaient des dents, et enflammés dans leurs résolutions, ils faisaient violence au patient pour qu'il dît qui et d'où il était, et où il habitait, pour qu'il sacrifiât et obéît à ce qui était décrété. Mais lui, il jetait les yeux sur eux tous et les considérait comme des gens ivres; il ne les jugeait pas dignes d'une réponse ; à leurs questions il n'avait 203 qu'une parole comme réponse pour confesser le Christ et rendre témoignage qu'il reconnaissait son Père et le Saint Esprit pour le seul Dieu. Cependant les ennemis étaient vaincus et découragés; de nouveau on le ramena à la prison. Mais le lendemain, on le reconduisit au juge ; comme il rendit le même témoignage, on ordonna de le jeter dans les abîmes de la mer.
[14] Ce qui s'est passé ensuite sera, je le sais, incroyable à ceux qui n'ont pas vu le fait de leurs, yeux, car, pour les hommes, les oreilles ne sont pas des témoins aussi fidèles que les yeux. Il n'est pourtant pas juste que pour cela nous livrions à l'oubli celte . merveille. Les témoins de notre récit seront, pour ainsi dire, tous les habitants de Césarée; car aucun âge n'a été privé de ce spectacle miraculeux. [15] Lors donc 205 qu'on eût jeté dans les abîmes de la mer l'homme de Dieu, aux pieds duquel on avait attaché des pierres, un fracas extraordinaire, un tremblement soudain, une secousse firent effondrer la mer elle-même et tout le rivage, et une agitation très violente ébranla la ville entière. En même temps que ce prodige, le cadavre du divin martyr, comme si la mer ne pouvait pas le porter, était rejeté par les Ilots devant les portes de la ville. C'était un spectacle sinistre que ce. cadavre gisant aux portes mêmes de la ville. Le tremblement de terre soulevé par Dieu était violent; il faisait tout effondrer et menaçait, tout le monde d'une terrible colère. Aussitôt que ce fait fut annoncé aux habitants delà ville, tous ensemble au pas de course se rendirent aux portes pour voir, enfants, hommes faits, vieillards, ainsi que les femmes de tout Age, celles qui vivent cachées, celles qui sont mariées et jusqu'aux jeunes filles, toutes et tous confessaient le seul et unique Dieu des chrétiens. Tel fut l'issue du drame en ce qui concerne l'admirable Apphianos. C'est 207 au mois de xanthique, le deux des nones d'avril, que sa mémoire est célébrée.