CHAPITRE PREMIER : LA DÉTENTE SIMULÉE
[1] La rétractation de l'ordre impérial exposé plus haut était déployée partout et en tout lieu de l'Asie et dans les provinces voisines. Tandis que ces choses s'accomplissaient de celte manière, Maximin, le tyran de l'Orient, terriblement impie s'il en fût et devenu le plus hostile ennemi de la religion du Dieu de l'univers, ne voyait les édits avec aucun plaisir, et au lieu de celui qui a été cité précédemment, c'est de vive voix qu'il enjoint aux magistrats sous ses ordres de laisser se détendre la guerre faite contre nous. Comme il ne lui était pas, en effet, permis de contredire autrement la décision de ses supérieurs, après avoir mis ladite loi dans une cachette, afin qu'elle ne fût pas portée à la connaissance des contrées placées sous son commandement, il a soin de se servir d'un ordre verbal et commande à ses magistrats de laisser se détendre la persécution contre nous. Ceux-ci se communiquent les uns aux autres par écrit ce qui concerne cette invitation. [2] Sabinus, qui était parmi eux, honoré du rang des dignitaires les plus élevés, fit connaître aux gouverneurs de chaque contrée la décision de l'empereur dans une lettre latine.
[La traduction de cette lettre a la forme suivante : [3] « C'est avec un zèle très brillant et purifié que la divi- 7 nité de nos maîtres très divins les empereurs a ordonné depuis longtemps déjà de tourner les esprits de tous les hommes vers la route sainte et droite de la vie, afin que même ceux qui paraissaient suivre une coutume différente de celle des Romains rendissent aux dieux immortels le culte qui est dû. [4] Mais l'opiniâtreté et la très âpre volonté de certains s'en est écartée à un tel point qu'ils n'ont pu ni être détournés de leur propre détermination par le juste raisonnement de l'ordre donné, ni être effrayés par l'imminence du châtiment. [5] Cependant parce qu'il arriva alors que par suite d'une pareille conduite, beaucoup se jetaient en péril, selon la générosité de la piété qui est en eux, la divinité de nos souverains, les très puissants empereurs, estimant qu'il était étranger à leur dessein personnel très divin démettre pour un pareil motif les hommes en un péril aussi grand, a ordonné par ma Dévotion d'écrire à ta Perspicacité que si quelque chrétien est trouvé observant la religion de bon peuple, lu le délivres d'embarras et de danger et que tu n'en tiennes aucun comme punissable d'aucune peino pour ce prétexte, du moment que le cours d'un temps si long établit qu'ils ne peuvent être amenés par aucun moyen à renoncer à de pareilles opiniâtretés. [6] Ta Sollicitude aura donc soin d'écrire aux curateurs, aux stratèges et aux préposés du bourg de chaque cité, afin qu'ils sachent qu'il ne leur convient pas d'avoir désormais souci de cet- édit ». Sur ce, dans chaque préfecture...]. 9 [7] Ceux-ci estimèrent que la décision présentée par ces lettres leur était exprimée sans réticence, et, par des écrits adressés aux curateurs, stratèges, et magistrats ruraux, ils rendirent publique la volonté impériale. Ce ne fut pas seulement en des écrits que cela fut exécuté par eux, mais encore et bien mieux par des actes. Afin de mener à bonne lin Tordre de l'empereur, tous ceux qu'ils tenaient enfermés en prison pour avoir confessé la divinité, ils les faisaient sortir au grand jour et les libéraient; ils renvoyaient même ceux d'entre eux qui avaient été affectés, par châtiment, au travail des mines. Us croyaient en effet que cela paraissait bon à l'empereur et se trompaient.
[8] Les choses s'accomplissaient ainsi, et tout d'un coup, comme lorsqu'une clarté sort brillante d'une nuit ténébreuse, en chaque ville on put voir les églises s'assembler, des réunions très nombreuses se tenir et, en celles-ci, les cérémonies s'accomplir selon l'usage. Ce n'était pas médiocrement que, parmi les infidèles païens, chacun restait frappé de ce spectacle, étonné de l'invraisemblance d'un tel changement, et proclamait grand et seul vrai le Dieu des chrétiens. [9] Pour les nôtres, ceux qui avaient fidèlement et virilement combattu le combat des persécutions retrouvaient à nouveau l'indépendance de leur langage auprès de tous. Ceux au contraire dont les âmes, malades en ce qui regarde la foi, se trouvaient avoir fait naufrage, se hâtaient avec joie vers leur guérison ; ils suppliaient et imploraient de ceux qui étaient restés forts une main secourable et ils priaient Dieu de leur être miséricordieux. [10] De plus les généreux athlètes de la reli- 11 gion, délivrés du labeur inique des mines, revenaient chez eux ; fiers et épanouis, ils traversaient chaque ville remplis d'un indicible bonheur et d'une assurance qu'il n'est pas possible à un discours de traduire. [11] Des groupes nombreux, au milieu des grands chemins et des places publiques, en chantant Dieu dans des hymnes et des psaumes, achevaient leur route. Et ceux qui peu auparavant avec un châtiment très cruel étaient enchaînés et chassés de leurs patries, on pouvait les voir avec des visages gais el joyeux revenir à 'leurs loyers. Celait à ce point que ceux qui naguère criaient contre eux, ayant sous les yeux ce spectacle tout à fait inespéré, se réjouissaient avec eux de ce qui arrivait,