7.
Jamais personne n’aima plus Jésus-Christ que saint Paul. Jamais personne ne témoigna pour lui un zèle plus ardent, et n’en reçut plus de grâces: et néanmoins, avec tous ces avantages on le voit s’épouvanter, de la grandeur de son ministère et trembler pour les fidèles dont il est chargé. Je crains, dit-il, que comme Eve fut séduite par les artifices du serpent, vous ne vous laissiez corrompre et ne dégénériez de la simplicité chrétienne. (II. Cor. XI, 3.) Et ailleurs : J’ai été parmi vous dans la crainte et dans l’angoisse. (I. Cor. II, 3.) Ainsi parle un homme qui fut ravi jusqu’au troisième ciel, que Dieu lui-même daigna initier à la connaissance de ses mystères, un apôtre qui a souffert autant de morts qu’il a passé de jours sur la terre après sa conversion, qui s’abstenait d’user de tout le pouvoir que Jésus-Christ lui avait donné, de peur de scandaliser le moindre de ses frères. Si cet homme, qui ne se contentait pas d’observer simplement les préceptes de Dieu, mais qui allait au delà, qui ne rechercha jamais son intérêt propre, mais toujours celui des fidèles qu’il gouvernait, se sent pénétré d’une frayeur continuelle à la pensée du ministère dont il est chargé, que ferons-nous, nous qui sommes accoutumés à tout rapporter à nous seuls, nous qui non-seulement n’allons pas au delà des préceptes de Jésus-Christ dans la pratique du bien, mais qui trop souvent restons bien loin en deçà de la limite rigoureuse du devoir.
Qui est-ce qui souffre sans que je souffre avec lui? Qui est scandalisé sans que je brûle? (II Cor. XI, 29.)
Tel doit être le prêtre, ou plutôt cela ne suffit pas encore : c’est peu de chose, ce n’est rien en comparaison de ce que je vais dire.
Ecoutez: Je souhaitais que Jésus-Christ me rendît moi-même anathème pour mes frères, (584) qui sont de la même race que moi selon la chair. (Rom. IX, 3.) Tout homme qui pourra proférer cette parole, dont l’âme sera assez sublime pour s’élever à la hauteur d’un tel souhait, celui-là méritera qu’on le blâme s’il fuit l’épiscopat. Mais quiconque sera aussi éloigné de cette vertu que je le suis se rendra odieux, non s’il refuse, mais s’il accepte.
S’il s’agissait d’une élection à un commandement militaire, et que ceux qui sont les maîtres de choisir allassent prendre un forgeron, un cordonnier, ou quelque autre artisan pour lui confier ce grade, assurément ce misérable ne mériterait point d’éloges s’il ne refusait pas, s’il ne faisait pas tout ce qui dépendrait de lui pour ne pas se lancer dans ce périlleux honneur. Oh! si pour être évêque il suffit d’en avoir le nom, d’en faire la fonction d’une manière telle quelle, sans qu’il y ait aucun risque à courir, m’accuse qui voudra de vaine gloire. Mais s’il faut pour accepter cette charge, une prudence consommée, et, avant la prudence, une grâce spéciale de Dieu, une droiture de moeurs, une pureté de vie irrépréhensible, une vertu supérieure aux seules forces humaines, je te prie de me pardonner la résolution que j’ai prise de ne pas m’exposer indiscrètement à une perte inévitable.
Si quelqu’un, me montrant un grand navire, rempli d’un nombreux équipage, chargé de marchandises précieuses, me plaçait au gouvernail et me proposait de traverser la mer Egée ou la mer Tyrrhénienne, je reculerais certainement d’effroi au premier mot. Et si l’on me demandait pourquoi: je répondrais que j’ai peur de perdre le navire. Quoi donc! dans une circonstance où il ne s’agit que de richesses périssables, d’une vie qui doit bientôt finir, personne ne se plaint que l’on montre trop de prudence et de défiance de soi-même; et dans l’appréhension d’un naufrage qui intéresse l’âme comme le corps, et qui menace, non pas des abîmes de la mer, mais d’un gouffre de flammes éternelles, je serai en butte à la colère, à la haine, parce que je ne me suis point jeté étourdiment dans cet effroyable malheur! Qu’il n’en soit pas ainsi, je vous en prie, je vous en conjure.