7.
Reconnaissez donc que l’auteur de cette ancienne loi non seulement n’est pas cruel, mais qu’il est même plein de bonté. Si vous dites que son joug est insupportable, et que cette sévérité de donner oeil pour oeil, va jusqu’à l’excès; je vous demande qui des deux vous paraît plus dur de défendre de ne point tuer, ou de ne pas se mettre même en colère? Qui est le plus sévère de celui qui punit l’homicide, ou de celui qui venge le moindre emportement contre son frère ? De celui qui condamne l’adultère lorsqu’il est commis, ou de celui qui en condamne même le désir, et qui le condamne à un supplice éternel?
Ainsi voyez où retombent les raisonnements de ces hommes. Le Dieu de l’Ancien Testament qu’ils appellent cruel, paraîtra doux et modéré et le Dieu du Nouveau Testament (133) qu’ils avouent être bon, se trouvera sévère et insupportable. Pour nous, nous croyons que le même Dieu est l’auteur de l’un et de l’autre Testament; qu’il s’est conduit dans l’inégalité de ses lois, selon qu’il était avantageux pour le bien des hommes, et qu’il a proportionné la différence de ses règles à la différence des temps. Les préceptes de l’ancienne loi n’ont rien de cruel, ni ceux de la nouvelle rien de trop rude ou d’insupportable. Une même providence a pesé les uns et les autres dans son équitable justice. Dieu témoigne lui-même par ses prophètes qu’il a donné la vieille loi « Je ferai, » dit-il, « un Testament, non selon l’alliance que j’ai faite avec vos pères. » (Jérém. XXXI, 32.) Et si celui qui est dans l’erreur des Manichéens ne reçoit pas ce témoignage, qu’il écoute au moins saint Paul qui nous confirme la même chose : « Abraham, »dit-il, « eut deux fils; un de la femme esclave, et l’autre de la femme libre, qui marquent les deux Testaments. » (Gal. IV, 1.) De même qu’on voit ici deux femmes et un seul homme, ainsi n’y a-t-il qu’un même Dieu, auteur de l’une et de l’autre loi.
Et pour vous montrer quelle douceur il fait paraître partout, il dit dans la première loi « OEil pour oeil, » et il dit ici : « Si quelqu’un vous donne un soufflet sur la joue droite, présentez-lui encore l’autre.» ici comme là c’est par la crainte du châtiment qu’il retient la main prête à frapper. Et quelle crainte, direz-vous, inspire-t-il, lorsqu’il commande de tendre l’autre joue? Il ne fait pas ce commandement pour ôter toute crainte à celui qui outrage, mais pour persuader à celui qui souffre, de s’abandonner à la passion de ce furieux, et de lui permettre de la satisfaire de la manière qu’il lui plaira. Il ne dit pas aussi qu’il ne sera point puni, mais que vous ne le punissiez pas vous-même. Ainsi il répand en même temps la crainte de l’avenir dans l’âme de celui qui fait l’outrage, et il console celui qui le reçoit. Je dis ceci seulement en passant pour tous les commandements en général. Je reviens maintenant à notre sujet.
« Mais moi je vous dis que quiconque se mettra en colère sans sujet contre son frère, méritera d’être condamné en jugement (22).» Dieu ne condamne pas la colère d’une manière absolue, premièrement parce qu’il est impossible que l’homme, tant qu’il est homme, soit entièrement libre de ses passions. Il peut bien les dompter, mais il ne peut pas en être tout à fait exempt. En second lieu, parce que la colère peut quelquefois être utile, si nous nous en servons comme nous devons. Combien la colère de saint Paul fut-elle autrefois avantageuse aux Corinthiens, puisqu’il s’en servit pour les guérir d’une peste très dangereuse? Et à tout le peuple des Galates, puisque s’étant fâché contre eux, il les fit rentrer une seconde fois dans le culte de Jésus-Christ? C’est ainsi qu’une colère sainte a produit souvent de bons effets. Quel est donc le temps et l’occasion légitime de se mettre en colère? C’est lorsque nous ne nous vengeons pas nous-mêmes: mais que nous réprimons le désordre, ou que nous excitons la paresse.
Quelles sont les occasions où la colère est défendue? C’est lorsque nous nous animons de cette passion pour nous venger nous-mêmes. Ce que saint Paul défend expressément, lors. qu’il dit: « Ne vous vengez point vous-mêmes, mes très chers frères, mais donnez lieu à la colère (Rom. XII, 19): » ou lorsque nous disputons pour de l’argent; ce que cet apôtre défend encore : « Pourquoi, » dit-il, « ne souffrez-vous pas plutôt qu’on vous fasse injure? Pourquoi ne souffrez-vous pas plutôt qu’on vous prenne votre bien? » (I Cor. VI, 7.) Cette espèce de colère est aussi vaine et superflue que l’autre est nécessaire et avantageuse. Mais presque tout le monde fait tout le contraire. Un homme se fâche lorsqu’il souffre quelque injustice; et il est froid et lâche lorsqu’il voit les autres cruellement opprimés. Ces deux excès sont également contraires aux préceptes de l’Evangile. Ainsi la colère n’est pas absolument mauvaise, mais elle le devient, lorsqu’elle est injuste et indiscrète. C’est pourquoi David disait : « Mettez-vous en colère, et ne péchez pas.» (Ps. XLV.)
« Celui qui dira à son frère, Raca, méritera « d’être condamné par le conseil (22). » Il marque ici par ce conseil un tribunal des Hébreux, dont il parle à dessein et pour ne point paraître dire toujours des choses étrangères et nouvelles. Ce mot de « Raca, » n’est pas une injure, mais seulement un mot de mépris. C’est de même que lorsqu’en parlant à nos valets, nous leur disons fièrement, va-t’en là, va dire cela à un tel. Car « Raca, » dans la langue syriaque, ne veut dire autre chose que « Toi. » La bonté de notre Sauveur veut déraciner de nous jusqu’aux moindres offenses. Il nous commande (134) de nous traiter et de nous entre-parler avec respect, afin de couper ainsi la source des plus grands péchés.