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Ne semblait-il pas que ce peuple dût au contraire souffrir avec peine qu’on lui imposât tant de lois nouvelles et s’abattre à la vue d’une doctrine si pure et si élevée? D’où vient donc qu’au contraire il est ravi de joie? C’est la puissance de Celui qui enseignait qui opéra ce prodige, c’était elle qui s’emparait des coeurs, qui jetait les esprits dans le ravissement, qui persuadait par le charme de cette parole; c’était elle qui, même après que le divin Maître eut fini de parler, retenait les auditeurs autour de lui. En effet le texte sacré nous apprend que lorsque Jésus descendit de la montagne, toute cette multitude l’accompagna, ne pouvant se résoudre à le quitter, tant sa parole avait de force et de charmes ! On admirait particulièrement l’autorité avec laquelle il prêchait. Car il ne parlait point comme de la part d’un autre, ainsi que Moïse et les prophètes; mais il témoignait partout que c’était lui qui avait le pouvoir de commander, et qu’il lui appartenait d’établir des lois, Aussi lorsqu’il publiait ces lois , il disait presque toujours : « Et moi je vous « dis, » etc. Et quand il parlait de ce jour terrible du jugement, il déclarait assez qu’il était le Juge qui devait punir les méchants et récompenser les bons.
Aussi sa parole produisait-elle un étonnement bien naturel. Car si les scribes, lors même qu’il leur témoignait sa puissance par ses actions et par ses miracles, ne laissaient pas de le décrier, et voulaient même le lapider; combien plus les auditeurs du sermon sur la montagne devaient-ils être scandalisés, lorsqu’il ne se faisait encore connaître que par des paroles, particulièrement dans ces commencements, où il n’avait point fait encore de miracles qui rendissent témoignage à sa puissance? Cependant tel n’était pas l’effet produit sur eux par la parole de Jésus. C’est qu’un coeur simple, et une bonne âme se rend sans peine à la lumière de la vérité. Ainsi les pharisiens sont scandalisés de la puissance de Jésus-Christ lorsqu’il la prouve par ses miracles; et ceux-ci, sans avoir vu de prodiges, sont édifiés de l’autorité avec laquelle il leur parle, ils sont persuadés de ce qu’il leur dit, et ils le suivent. C’est ce que l’évangéliste témoigne lorsqu’il dit :
« Jésus étant descendu de la montagne, une « grande foule de peuple le suivit. (VIII, 1.) Ce ne sont pas les scribes ni les princes qui le suivent, c’est un peuple simple, exempt de corruption et de malice. Voilà ceux qu’on voit dans tout l’Evangile s’attacher toujours à lui. Lorsqu’il parlait en public, ils l’écoutaient avec un profond silence, sans faire de bruit, sans l’interrompre, sans lui faire d’objection, sans le tenter, et sans rien trouver à redire à ce qu’il disait, comme les pharisiens ont fait si souvent. C’est pourquoi nous voyons ici qu’après même un si long discours, ils ne laissent pas de le suivre, et d’être dans l’admiration de sa doctrine.
Mais je vous prie, mes frères, de considérer (208) ici combien est grande la sagesse de Jésus-Christ, et comme il varie sa conduite en la proportionnant au besoin de ses auditeurs, en passant tantôt des miracles aux instructions, at tantôt des instructions aux miracles. Avant que de monter sur la montagne, il guérit plusieurs malades, pour disposer les esprits à le croire; et après ce long sermon, il recommence à faire encore de nouveaux miracles, pour appuyer ce qu’il avait dit. Puisqu’il enseignait « comme ayant puissance, il fallait empêcher qu’on ne s’imaginât que cette manière d’enseigner n’était que le fait d’une vanité présomptueuse, c’est pourquoi il fait éclater la même autorité dans ses oeuvres, et il guérit les maladies comme ayant puissance; » le ton de souveraineté qui paraissait dans sa parole ne devait plus sembler étrange dès qu’on apercevait dans ses miracles le même caractère. « Lors donc qu’il fut descendu de la montagne, une grande foule de peuple le suivit. Et un lépreux venant à lui l’adorait en lui disant: Seigneur, si vous le voulez, vous pouvez me guérir (2). Et Jésus «étendant la main le toucha en lui disant: Je le veux, soyez guéri. Et aussitôt sa lèpre fut guérie (3). » Cet homme fait preuve de beaucoup de sagesse et de foi en approchant de Jésus-Christ. Il ne va point inconsidérément interrompre son discours. Il ne fend point la foule pour venir avec précipitation jusqu’au Sauveur. Il attend paisiblement une occasion favorable, et lorsqu’il le voit descendre, il s’approche de lui, non d’une manière indifférente, mais avec une humilité profonde. Il se prosterne à ses pieds, comme le marque un autre évangéliste, avec un respect qui montrait quelle foi sincère il avait, et quelle grande idée il se faisait de Jésus-Christ. Il ne lui dit point: Si vous priez Dieu pour moi; mais: « Si vous le voulez, vous pouvez me guérir. » Il ne dit pas non plus: « Seigneur, guérissez-moi : » mais il lui laisse tout entre les mains; il le rend maître absolu de sa guérison, et il rend témoignage à sa toute-puissance. Mais, dira-t-on, si l’opinion du lépreux était une opinion erronée ?... —Alors il eût fallu détruire l’opinion, et reprendre et redresser celui qui l’avait. Or est-ce que Jésus-Christ l’a fait? Point du tout; au contraire il confirme et corrobore ce qu’a dit cet homme, C’est pourquoi il ne dit pas simplement: soyez guéri, mais: « Je le veux, soyez guéri, de sorte que le dogme de la toute-puissance et de la divinité de Jésus-Christ ne repose plus seulement sur l’opinion d’un homme quelconque, mais sur l’affirmation même de Jésus-Christ. Les apôtres ne parlaient pas de la sorte, et ne s’attribuaient pas ainsi cette puissance dans les miracles qu’ils faisaient. Car voyant les hommes surpris et étonnés des prodiges qu’ils faisaient en leur présence, ils leur disaient : « Pourquoi nous regardez-vous avec admiration, comme si c’était nous qui par notre « propre puissance eussions fait marcher cet homme?» (Act. III, 12.) Mais le Seigneur, lui, que dit-il, lui qui parlait d’ordinaire si humblement de lui-même, et dont le langage était infiniment au-dessous de sa gloire; que dit-il, pour établir le dogme de sa divinité, devant toute cette multitude qui le regarde avec stupéfaction? « Je le veux, soyez guéri. »