1.
L’Evangéliste appelle « le premier jour des azymes », celui qui précédait cette fête. Car les Juifs avaient coutume de compter les jours à partir du soir. C’est ainsi que l’Evangile commence à compter celui-ci dès le soir précédent, auquel on devait immoler la Pâque.
Les disciples viennent donc trouver Jésus-Christ le cinquième jour de la semaine, que l’un des évangélistes appelle le premier avant les jours sans levain, marquant par là le jour auquel les disciples vinrent parler à Jésus-Christ, de ce qu’il tiendrait prêt pour faire la Pâque. Un autre évangéliste dit: « Le jour des e azymes était venu, auquel il fallait immoler la Pâque » (Luc. XXII, 1); nous faisant voir par ce terme, « était venu », que ce jour était proche, c’est-à-dire qu’on était au soir de la veille de ce jour. Et c’était alors que la fête commençait. C’est pourquoi tous les évangélistes ajoutent : « auquel il fallait immoler la Pâque ». Les disciples s’approchent donc de Jésus-Christ et lui disent: « Où voulez-vous que nous vous préparions à manger la Pâque »?
Il paraît, par ces paroles, que Jésus n’avait aucune maison ni aucun lieu où il pût se retirer, et je crois même que ses disciples n’en avaient point, puisqu’apparemment s’ils en avaient eu, ils l’auraient prié d’y venir. Mais ils avaient tout quitté pour suivre Jésus-Christ leur maître. Mais pourquoi le Sauveur célébrait-il la Pâque? Pour nous faire voir, jusqu’au dernier jour de sa vie, qu’il n’était point contraire à la Loi. Il les envoie chez un inconnu pour faire voir à ses disciples, par cette action d’autorité, qu’il lui eût été facile d’éviter tous les tourments qu’il allait souffrir. Car s’il avait assez de puissance pour persuader d’une parole à un homme qui ne le connaissait pas de le recevoir chez lui, que n’eût-il point fait à l’égard de ceux qui le crucifiaient, s’il n’eût désiré lui-même de souffrir la mort?
Il use ici de la même conduite qu’il avait gardée à l’égard du maître de l’ânesse, dont il se servit pour son entrée à Jérusalem : « Si quelqu’un vous dit quelque chose, dites que le Maître en a besoin». Et il fait dire ici : « Le Maître vous envoie dire : Je viens faire la Pâque chez vous avec mes disciples ». C’est pourquoi je vous avoue que j’admire cet homme, non-seulement parce qu’il fit cette action de charité à l’égard d’un inconnu, mais encore beaucoup plus parce qu’il voyait à quoi (24) cette charité l’exposait, et que, prévoyant qu’il allait être en butte à la haine et à une guerre sans trêve, il méprisa néanmoins ces suites si dangereuses pour obéir à la parole de Jésus-Christ.
Le Sauveur donne à ses disciples une marque pour connaître cet homme, et cette marque est presque la même que celle que Samuel donna autrefois à Saul : « Vous trouverez », lui dit-il, « un homme qui montera et qui aura un vase » (I Rois, XIX, 3): Et Jésus-Christ dit ici que cet homme « porterait une cruche d’eau ».
Il faut encore remarquer combien Jésus-Christ fait paraître ici sa puissance. Il ne dit pas seulement: « Je fais la Pâque chez-vous » ; mais il ajoute ces autres paroles : « Mon temps est proche». Il dit ce mot à dessein, parce qu’il voulait parler souvent de ses souffrances en présence de ses disciples, afin qu’ils méditassent longtemps à l’avance sur ce sujet, et que cette longue préméditation les empéchât d’en être troublés. Il voulait encore témoigner à tous ses disciples, et à cet homme même qui allait le recevoir chez lui, et généralement à tous les Juifs, que c’était volontairement qu’il s’offrait à la mort. Il dit qu’« il veut faire la Pâque avec ses disciples », afin qu’on préparât avec plus de soin tout ce qui était nécessaire, et que personne ne s’imaginât qu’il cherchait à se cacher.
« Le soir donc étant venu, il était à table avec ses douze disciples (20) ». Qui ne s’étonnera, mes frères, de l’impudence de Judas? Il ose se mettre à table avec les autres; il participe aux mêmes mystères. Et il ne rentre point en lui-même, quoique Jésus-Christ lui fasse un reproche secret, d’une manière si douce et si modérée, que tout autre que lui, qu’une brute même en eût été touchée. L’évangéliste marque à dessein que ce fut « lorsqu’ils étaient à table » que Jésus-Christ parla de celui qui allait le trahir, afin que le temps de la célébration de ces grands mystères, et la participation d’une même table, fissent voir avec plus d’horreur quelle était la malice de ce traître.
« Et comme ils mangeaient, il leur dit : Je vous dis en vérité que l’un de vous me trahira (21)». Avant même que de se mettre à table, Jésus avait lavé les pieds à Judas aussi bien qu’aux autres. Mais admirez la douceur de Jésus-Christ, et jusques à quel point il épargne ce disciple. Il ne dit pas un tel en particulier, mais en général : « Un d’entre vous me trahira », afin qu’en se voyant découvert par son maître, et espérant encore de pouvoir demeurer caché aux apôtres, il fût touché de pénitence. Jésus aime mieux effrayer tous les autres, et les frapper de crainte, que de ne pas donner encore à ce coupable cette ouverture pour le porter à se repentir de son crime : « Un d’entre vous », dit-il, d’entre vous qui êtes mes douze disciples, qui avez toujours été avec moi, dont je viens de laver les pieds, et à qui j’ai promis de si grandes choses; un d’entre vous, dis-je, « me trahira ». Une douleur profonde saisit alors tous les apôtres. Saint Jean marque « qu’ils se regardaient l’un l’autre », et que bien qu’ils ne se sentissent point coupables, ils se défièrent d’eux néanmoins, et demandèrent en tremblant: « Seigneur, est-ce moi »? C’est ce que marque notre Evangéliste, lorsqu’il dit: « Et pleins d’une grande tristesse, ils commencèrent chacun à lui demander: Seigneur, est-ce moi (22)? Il leur répondit : Celui qui met la main avec moi dans le plat me trahira (23) ». Remarquez, mes frères, quand le Sauveur déclare enfin celui qui le trahissait, c’est lorsqu’enfin il est obligé de le faire pour délivrer les autres d’une tristesse insupportable qui les rendait à demi-morts. La crainte les avait pénétrés jusqu’au fond du coeur : et c’était cette disposition qui les forçait tous de faire cette demande : « Seigneur, est-ce moi »?
On peut dire néanmoins que ce ne fut pas là la seule cause pour laquelle le Sauveur voulut désigner quel serait celui d’entre eux qui le trahirait, mais qu’il voulait encore étonner Judas, et le faire rentrer en lui-même. Comme le traître n’avait point été touché des paroles obscures dont Jésus-Christ s’était servi pour le désigner, Jésus l’accuse plus clairement pour ébranler ce coeur endurci: « Lors donc», qu’ils eurent tous fait cette demande à Jésus-Christ, et qu’il leur eut répondu : « Celui qui met la main avec moi dans le plat, me doit trahir», il ajouta: «Pour ce qui est du Fils de l’homme il s’en va selon ce qui a été écrit de lui; mais malheur à l’homme par qui le Fils de l’homme sera trahi. Il vaudrait mieux pour lui qu’il ne fût pas né (24) ». Quelques-uns disent que l’impudence de Judas allait si loin que, pour marquer davantage quel mépris il faisait de son Maître, il mit avec lui la main (25) dans le plat. Mais, pour moi , je crois que Jésus-Christ ménagea cette rencontre pour faire plus d’impression dans l’esprit de ce disciple, par cette action qui témoignait plus d’amitié et de familiarité, et qui était plus capable de le toucher.