2.
Rien n'embrase la concupiscence, rien n'enflamme la colère comme le vin et l'ivresse. Aussi, est-ce après « Point de débauches, d'ivresses », qu'il dit: « Point d'impudicités, de dissolutions, point de querelles ni d'envie ». Et il ne s'arrête pas là; mais, quand il nous a débarrassés de nos mauvais vêtements, écoutez de quelle parure il nous embellit par ces paroles : « Mais revêtez-vous de Notre-Seigneur Jésus-Christ (14) ». II ne parle plus d'oeuvres à faire, mais il s'exprime d'une manière plus propre à encourager. Quand il s'agissait du vice, il parlait d'oeuvres; mais maintenant qu'il s'agit de la vertu, il ne parle plus d'oeuvres, mais d'armes, afin de montrer par cette expression que la vertu orne en même temps qu'elle protégé celui qui la possède. Et l'apôtre ne s'arrête pas là; il élève beaucoup plus haut son discours, il conçoit une image d'une redoutable grandeur; c'est le Seigneur même qu'il nous donne pour vêtement, le Roi des rois. Celui qui en est revêtu possède la vertu parfaite dans son intégrité. Ces paroles : « Revêtez-vous », nous prescrivent de nous en envelopper complètement. C'est la même pensée que l'apôtre exprime ailleurs : « Si Jésus-Christ est en vous » (Rom. VIII, 10); et encore : « Que dans l'homme intérieur habite le Christ ». (Ephés. III, 16, 17.) Ce qu'il veut en effet, c'est que notre âme soit son domicile, c'est que le Christ soit pour nous comme un vêtement, c'est qu'il soit tout pour nous, et au dedans, et au dehors. Car le Christ est notre plénitude: « La plénitude de celui qui remplit tout en tous » (Ephés. I, 23); il est la voie, il est l'homme, il est l'époux : « Car je vous ai fiancés à cet unique époux, comme une vierge pure ». (II Cor. XI, 2.) Il est la racine, le breuvage, la nourriture, la vie : « Et je vis », dit Paul lui-même ailleurs, « ou plutôt, ce n'est plus moi qui vis, mais Jésus-Christ qui vit en moi ». (Gal. II, 20) II est l'apôtre, le pontife suprême, le docteur, le père, le frère, le cohéritier, le compagnon du sépulcre et de la croix : « Car nous avons été ensevelis » nous-mêmes, dit encore l'apôtre, « et nous avons été entés en lui, par la (381) ressemblance de sa mort ». (Rom. VI, 4, 5.) Il est aussi un suppléant : « Nous faisons donc la fonction d'ambassadeurs pour Jésus-Christ ». (II Cor. V, 20.) Il est encore notre avocat auprès du Père, car « Il intercède pour nous ». (Rom. VIII , 34.) Il est et l'habitation et l'habitant. Celui-là « demeure en moi et moi en lui ». (Jean, VI, 57.) C'est, en outre, un ami : « Car vous êtes mes amis ». (Jean, XV , 14.) C'est le fondement, la pierre de l'angle; quant à nous, nous sommes ses membres, le champ qu'il cultive, l'édifice qu'il construit, sa vigne, les ouvriers qui y travaillent avec lui. Que ne veut-il pas être pour nous? quel moyen ne prend-il pas pour nous appliquer, nous attacher à lui? ce qui est la preuve de son ardent amour. Cédez-lui donc, en secouant votre sommeil ; revêtez-vous de lui, et, vous en étant revêtu, donnez-lui votre chair à façonner à son gré. C'est ce que l'apôtre a fait entendre par ces paroles : « Et ne cherchez pas à contenter votre sensualité ».
De même qu'il ne défend pas de boire, mais de s'enivrer ; ni de se marier, mais de s'adonner au libertinage ; de même il ne réprouve pas les soins qu'on prend du corps, mais seulement la concupiscence, il ne veut pas que nous franchissions les limites de la nécessité. La preuve qu'il ne proscrit pas les soins pour le corps, c'est ce qu'il écrit à Timothée : « Usez d'un peu de vin, à cause de votre estomac et de vos fréquentes maladies ». (I Tim. V, 23.) Oui, soignez votre corps, mais pour la santé, non pour la luxure. Il n'y aurait pas d'ailleurs prévoyance et soin pour le corps si vous ne faisiez qu'allumer en lui une flamme ardente ; que d'en faire une fournaise insupportable. Voulez-vous bien comprendre ce que c'est que soigner le corps; pour la concupiscence? Voulez-vous qu'on ne vous voie jamais préoccupés de tels soins? Regardez ceux qui s'abandonnent à l'ivresse, à la gourmandise, qui recherchent le luxe des vêtements, la délicatesse, la mollesse, les dissolutions, et vous comprendrez les paroles de l'apôtre. Tous ces débauchés recherchent, non la santé, mais la luxure , ce qui attise le feu des passions. Mais vous, qui avez revêtu le Christ, qui avez rejeté toutes ces souillures, ne recherchez, pour le corps, que la santé ; prenez soin de votre corps uniquement dans cette vue ; rien au delà ; employez toute votre ardeur pour les biens spirituels. C'est ainsi que vous pourrez secouer ce sommeil, toutes ces concupiscences ne pèseront pas sur vous. Qu'est-ce que la vie présente? un sommeil, et les affaires qui s'y rapportent, ne diffèrent en rien des songes. Et, de même que ceux qui dorment, font entendre des paroles insensées, et la plupart du temps n'ont que des visions malsaines , de même, en est-il de nous, ou plutôt notre condition est bien pire. Car celui qui commet, en songe, des actions coupables, ou prononce des paroles honteuses, une fois délivré du sommeil, l'est aussi de la honte, et n'a pas d'expiation à subir; ici, au contraire, et la honte, et le châtiment subsistent pour l'éternité. Autre différence encore : ceux qui sont riches en songe, une fois le jour arrivé; comprennent le néant de leurs richesses; ici, au contraire, c'est ce que l'on comprend même avant que le jour arrive ; avant notre départ d'ici bas, ces songes sont déjà loin. Secouons donc ce sommeil funeste. Car si ce jour nous surprend dormant encore, ce qui nous saisira, c'est une mort immortelle ; et avant que ce jour arrive, nous serons la proie facile de tous nos ennemis, et des hommes. et des démons; s'ils veulent notre mort, nul ne les empêchera de nous frapper. Si le grand nombre était éveillé; le danger ne serait pas si grand ; mais à peine un ou deux tiennent leur flambeau allumé, les autres dorment comme au sein de la nuit la plus profonde, voilà pourquoi nous ne pouvons trop veiller nous-mêmes, prendre trop de précautions, si nous voulons éviter d'insupportables malheurs.