4.
Rappelez -vous qu'Abraham, lorsqu'il offrit son sacrifice, n'admit en sa présence ni. son épouse, ni son serviteur, ni personne autre. Vous non plus, ne souffrez pas qu'aucune passion servile, indigne des enfants de Dieu vienne occuper votre coeur ; allez tout seul sur la montagne que gravit Abraham, sans. permettre à personne de. la gravir avec lui. Que si des pensées humaines veulent monter avec vous, commandez-leur avec autorité; dites leur : Restez ici; mon fils et moi nous reviendrons, après avoir adoré. Laissez donc au pied de la montagne l'ânesse, les serviteurs, tout ce qui est dépourvu de siens et de pensées. Prenez avec vous ce qui est doué d’intelligence et montez, comme Abraham monta avec Isaac. Comme le patriarche, élevez un autel ; dépouillez-vous de toute humaine pensée, élevez-vous au-dessus de la nature. Eût-il immolé son fils, s'il ne se fût lui-même élevé au-dessus de la nature? Que rien ne vienne vous troubler dans votre oraison; élevez-vous au-dessus du ciel même; poussez d'amers gémissements; offrez à Dieu, comme un sacrifice, la confession de vos fautes : « Commencez par confesser, vos iniquités, afin d'être par là justifié ». Offrez-lui la contrition de votre~coeur. Voilà des victimes qui ne sont pas réduites en cendres, qui ne se dissipent pas en fume, pour lesquelles vous n'avez besoin ni de bois ni de feu, mais seulement d'une âme remplie de componction c'est le bois, c'est le feu qui brûle ces victimes, sans les consumer. Celui qui prie avec ferveur, est brûlé, mais il n'est point consumé ; son éclat redouble comme celui de l'or que le feu vient d'éprouver.
Gardez-vous encore de prononcer aucune parole capable d'irriter le Seigneur, et ne l'invoquez point non plus contre vos ennemis. Si c'est déjà une honte d'avoir des ennemis, songez quel mal ce serait de prier contre eux ! Loin de vous . excuser d'avoir des ennemis, vous iriez encore les accuser devant Dieu Et comment obtiendrez-vous votre pardon, si vous les accusez au moment même où vous implorez miséricorde pour Vous? N'est-ce pas en effet le pardon de vos péchés que Nous sollicitez dans votre prière: ne vous souvenez donc, pas des péchés d'autrui; autrement vous réveilleriez. le souvenir des vôtres. Si vous dites: frappez mon ennemi; vous vous fermez la bouche, vous enlevez toute liberté à votre languie, N'excitez-vous pas en effet dès le commencement la colère du Seigneur; et ensuite ne demandez-vous pas précisément le contraire de ce qu'il faudrait demander? Si en effet vous priez pour obtenir la rémission de vos péchés, comment se fait-il qu'en même temps vous, sollicitiez-la punition des autres? C'est le contraire que vous deviez faire : il fallait prier polir vos ennemis, afin de pouvoir aussi prier avec confiance pour vous-mêmes. Vous prévenez la sentence du juge par votre propre sentence, puisque vous déclarez les pécheurs dignes d'une punition : comment seriez-vous . encore excusables ? Priez pour eux, et alors vous n'avez pas même besoin de dire un mot de vos propres fautes : tout est fait. Rappelez-vous combien la Loi prescrivait de sacrifices : le sacrifice de louange, le sacrifice de la confession, le sacrifice dû salut, le sacrifice d'expiation et tant d'autres; mais je ne vois pas qu'elle en prescrive aucun contre les ennemis, tous au contraire ont pour objet nos propres péchés ou nos bonnes oeuvres.
Quel Dieu priez-vous donc? N'est-ce pas celui qui a dit : « Priez pour vos ennemis ? » (40) (Matth. v, 44.) Comment osez-vous donc élever la voix contre eux ? Comment pouvez-vous prier Dieu d'enfreindre sa propre loi? Rien qui convienne moins au rôle de suppliant personne ne supplie pour qu'un autre périsse; mais on implore son propre salut. Pourquoi donc jouer le rôle de suppliant avec des paroles d'accusateur? Quand nous prions pour nous-mêmes, nous nous remuons, nous nous agitons, nous nous laissons aller à mille pensées étrangères ; mais quand nous prions contre nos ennemis, nous le faisons avec attention et avec ardeur. Le diable sait bien que nous nous enfonçons alors un glaive dans la poitrine; et c'est pourquoi il se garde bien de nous distraire, de détourner notre attention; il veut nous causer ainsi tout le mal. possible. — Mais, direz-vous, on m'a fait injure, on m'a blessé. — Eh bien , priez donc contre le démon, qui nous outragé plus que personne ne le fait. On vous prescrit de dire dans votre prière : « Délivrez-nous du malin ». (Matth. VI, 93.) Voilà votre implacable ennemi mais l'homme, quoi qu'il vous fasse, est votre ami et votre frère. :Aussi lançons-nous tous contre lui, prions Dieu contre lui; et disons: Brisez Satan sous nos pieds. C'est lui qui nous suscite des ennemis. Si vous priez contre vos ennemis, vous accomplissez le plus ardent de ses voeux; mais en priant pour vos ennemis, c'est contre lui que vous priez. Pourquoi donc laisser de côté votre véritable ennemi, pour dévorer vos membres, vous montrant ainsi plus cruels que les bêtes. féroces? — Mais, dites-vous, on m'a outragé; on m'a enlevé mes biens. — Qui donc est le plus à plaindre, de celui qui supporte l'outrage ou d'e celui qui le fait? S'enrichir à vos dépens, c'est perdre l'amitié de Dieu, et le dommage l'emporte Sur le gain. Agir de la sorte; c'est se nuire à soi-même. Au lieu de prier contre votre ennemi, priez pour lui, pour que Dieu lui fasse miséricorde.