2.
Ne ferme-t-il pas aussi la bouche aux hérétiques; en leur montrant qu'il ne s'agit pas d'un corps ou d'un autre, mais de la corruption et de l'incorruptibilité? Ce qui cause nos gémissements, ce n'est pas le désir que nous avons d'être délivrés de notre corps (car nous ne voulons pas en être dépouillés) ; mais c'est le désir d'être délivrés de la corruption qu'il renferme. Aussi dit-il : Nous ne. voulons pas être dépouillés de notre corps, mais nous voulons le revêtir d'immortalité. Il s'explique ensuite : « Afin que ce qui est corruptible, soit absorbé par la vie ». Il semblait pénible à la plupart de quitter leur corps, et c'était combattre leurs sentiments que de dire : « Nous gémissons de ne pas vouloir en être délivrés ». Et en effet, si l'âme éprouve tant de peine à se séparer du corps, comment dites-vous donc que nous nous plaignons de n'en être point séparés? C'est cette objection qu'il veut prévenir : Je ne veux pas dire, reprend-il, que nous gémissons par suite du désir que nous avons de quitter nos corps. La. mort est une cause de tristesse pour tout le monde; et le Christ lui-même a dit de saint Pierre : « Ils te prendront et te mèneront où tu ne veux pas aller» (Jean, XXI, 18); mais nous voulons revêtir notre corps d'une robe d'immortalité. Voilà ce qui nous afflige : ce n'est pas d'avoir un corps; mais d'avoir un corps mortel et sujet à-la souffrance. Telle est encore une fois la cause de notre, affliction. Mais la mort, vient détruire ce qu'il y a de corruptible en nous, elle ne détruit point le corps. — Et comment cela se fait-il, demandez-vous?Ne posez point cette question. C'est Dieu lui-même qui le fait. Pas de vaine curiosité.
C'est pourquoi l'apôtre ajoute : « Celui qui nous a créés pour cela même, c'est Dieu ». Il s'agit donc d'une disposition toute céleste et éternelle. Ce n'est pas aujourd'hui que Dieu l'a établie; il en a décidé ainsi quand dans l'origine il nous forma de terre, quand il créa le premier homme, Adam. Il ne l'a point créé pour mourir, mais pour le rendre immortel. Afin de confirmer ce qu'il vient de dire, l'apôtre ajoute : « Et il nous a donné le gage de l'Esprit-Saint ». C'est pour cette fin qu'il créa l'homme, c'est pour cette fin qu'il l'a renouvelé par le baptême. Le gage qu'il nous en donne, n'est certes point sans valeur : c'est l'Esprit-Saint lui-même. Souvent il parle de gage, soit pour montrer qu'il s'engage formellement, soit afin d'inspirer par ces paroles plus de confiance à des esprits encore grossiers. « Ayant donc toujours confiance et sachant ». Il parle de confiance à cause des persécutions, des embûches, des menaces de mort continuelles, comme s'il disait : « On vous menace, on vous persécute, on vous fait mourir? » Ne vous découragez point; tout cela se fait pour votre bien, ne tremblez point; mais au contraire ayez confiance. Ce qui vous fait gémir, ce qui vous cause de la douleur, cette corruption dont vous vous plaignez, c'est ce qui doit vous enlever de ce monde et vous arracher à la servitude. Voilà le sens de ces paroles : « Ayant donc toujours confiance », non-seulement quand vous vivez au sein du repos, mais encore quand vous êtes affligés. « Et sachant que tant que nous habitons ce corps, nous sommes loin du Seigneur. Car nous nous avançons au moyen de la foi, et non point en contemplant Dieu lui-même. Mais nous avons confiance et nous espérons sortir du corps et nous présenter devant le Seigneur (6-8) ». Il place en dernier lieu ce qui à le plus de grandeur. Revêtir l'immortalité; c'est moins que vivre avec le Christ. Et voici ce qu'il veut dire : L'ennemi qui nous donne la mort, n'éteint pas en nous la vie; ne craignez clone rien. Ayez confiance, au contraire, si l'on vous fait mourir. Car non-seulement on vous soustrait à la corruption, et on vous décharge d'un lourd fardeau, mais on vous fait passer de ce monde vers le Seigneur. C'est pourquoi l'apôtre ne se borne pas 'à dire tandis que nous sommes dans le corps; il s'exprime comme si nous étions en pays étranger : « Sachant donc que nous sommes pour ainsi dire exilés dans le corps; et loin du Seigneur; mais nous avons confiance, et nous espérons sortir du corps pour nous présenter devant le Seigneur ».
Voyez-vous comme il sait taire les noms de (68) mort et de trépas, et leur en substituer d'autres pleins de douceur et d'agrément. Il appelle la mort un voyage vers le Seigneur.. Ces noms, si doux en apparence, qui expriment la vie, il les remplace par des noms peu gracieux, et la vie n'est pour lui qu'un exil où nous sommes loin de Dieu. Il en use de la sorte afin qu'on ne s'attache point au présent, qu'on s'en afflige au contraire,.que la vue de la mort réjouisse au lieu d'affliger, puisque la mort donne accès à de plus grands biens. — Mais on pourrait dire, après l'avoir entendu tenir ce langage: «Quoi donc? Parce que nous sommes sur la terre, nous vivons loin du Seigneur?» C'est pour. prévenir cette objection qu'il ajoute : « Car nous nous avançons, la lumière de la foi, et non en contemplant Dieu lui-même ». Nous le connaissons donc ici-bas, mais moins clairement que nous- ne le connaîtrons dans le ciel. Il le dit ailleurs encore : « Nous le voyons comme dans un miroir,»; et « en énigme». ( I Cor. XIII, 12.) «Mais nous avons confiance et nous espérons », dit-il. Qu'espérons-nous donc,? « Nous espérons sortir du corps et nous présenter devant le Seigneur ». Quelle élévation dans ce langage ! C'est ainsi que toujours procède l'apôtre. Il s'empare des paroles de ses adversaires, et les tourne dans un sens tout opposé. C'est une remarque que j'ai déjà exprimée. « Ainsi donc nous nous efforçons de lui plaire, que nous soyons. près de lui, que nous soyons loin de lui». L'objet de nos efforts, dit-il, c'est de vivre selon sa volonté, que nous soyons au ciel, que nous soyons sur la terre. Nous n'avons rien plus à coeur qu'une telle conduite. Dès ici-bas vous jouissez déjà et avant toute épreuve, du royaume des cieux. Après avoir excité chez eux un bel désir, il ne veut pas qu'un délai trop prolongé les décourage, et c'est pourquoi il leur montre même ici-bas, comme l'abrégé, de tous les biens, qui consiste à plaire au Seigneur. Ce qu'il faut,désirer, ce n'est pas simplement de sortir de ce monde, mais d'en sortir après une vie sainte voilà ce qui rend la mort agréable; ce n'est pas la vie elle-même qui est à charge, mais la vie passée à offenser Dieu.