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Donc, gardons-nous de fuir la pauvreté comme un mal, puisqu'elle est le grand introducteur au ciel; gardons-nous de poursuivre la fortune comme un bien, puisqu'elle perd tant d'hommes irréfléchis; mais l'œil attaché sur notre Dieu, usons, comme il convient, de tout ce qu'il nous a donné, force physique, richesses, biens de tout genre. Nous sommes ses créatures : il serait absurde de ne pas lui rapporter ce que nous tenons de lui, et d'en faire hommage à d'autres maîtres. Il vous a fait des yeux : consacrez-les à son service, et non pas au démon, Et comment les consacrez-vous à Dieu? Employez-les à contempler ses œuvres pour lui en rapporter la gloire, et détournez-les des beautés charnelles. Il vous a fait des mains? Possédez-les pour lui et non pour le démon : qu'elles ne s'étendent pas pour le volet la rapine, mais pour accomplir les commandements, mais pour les bonnes oeuvres et la prière continuelle, mais pour relever ceux qui sont tombés. Il vous a fait des oreilles? Ouvrez-les pour Dieu, et non pour des chants corrompus et efféminés; l'Ecriture vous dit : « Ecoutez toujours la loi de Dieu » ; et encore: « Fréquentez l'assemblée des vieillards, et s'il est un sage, cherchez tout d'abord son amitié ». (Ecclés. IX, 23 et VI, 35.) Il vous a fait une bouche? Qu'il n'en sorte rien que Dieu puisse condamner, mais bien des psaumes, des hymnes, des cantiques spirituels, des discours qui procurent la grâce en ceux qui les entendent; qui soient capables d'affermir et non de renverser, de produire la bénédiction et non la malédiction ; qui éloignent des piéges au lieu d'y faire tomber. Il vous a fait des pieds, non pour courir aux vices, mais aux vertus. Il vous a fait un estomac, non pour le rompre par la bonne chère, mais pour le dominer par la sobriété et la sagesse. Il vous adonné le désir du mariage pour la procréa. tion des enfants, mais non pour la débauche et l'adultère. Il vous a donné de l'esprit, non certes pour jeter le blasphème contre lui et l'outrage contre le prochain, mais pour diriger et modérer votre langue. Il vous a donné l'argent, pour en user selon le devoir; toutes vos forces enfin, il vous les a départies avec la même intention. Il a créé les arts pour le soutien de notre vie, mais non pour nous distraire des choses spirituelles, et moins encore pour nous livrer à des métiers infâmes: Dieu permet les arts nécessaires, afin que mutuellement on s'entr'aide, mais non pour qu'on se nuise. Il vous a donné un toit, pour vous abriter contre la pluie, et non pas pour l'orner d'or, lorsque le pauvre meurt de faim. Il vous a donné des vêtements pour vous couvrir, et non pour l'ostentation; il ne veut pas que vous les enrichissiez d'or, tandis que (71) Jésus-Christ resterait nu. Il vous a donné une maison, non pour la posséder à vous seul, mais pour y recevoir votre prochain. Il vous a donné la terre, non pour dépenser la plus grande partie de vos revenus à l'entretien de prostituées ou de bouffons, à payer des joueurs de flûte, de lyre, de cithare ; ces biens du bon Dieu doivent servir aux malheureux, aux indigents. Il vous a donné la mer pour les besoins de la navigation, mais non pour vous fatiguer par des voyages sans but, pour en sonder curieusement les profondeurs et en extraire les pierres précieuses et autres bagatelles de ce genre; Dieu n'aime pas une semblable passion.
Alors, direz-vous, à quoi servent les pierres précieuses? — Répondez - moi plutôt vous-même. Pourquoi tant de valeur à un caillou? A-t-il quelque propriété secrète? A-t-il quelque usage? Les pierres qu'on ne va pas chercher dans la mer, sont certes plus utiles. Du moins servent-elles à la construction de nos maisons, et celles-là, jamais ! Du moins ont-elles le mérite d'être plus solides. — Mais, dites-vous, les pierreries rehaussent la beauté. —Comment? N'est-ce pas là pur et vain préjugé? — Elles sont d'un blanc plus vif. — Non, car elles ne surpassent pas l'éclat, la pureté d'un marbre bien blanc, j'ose dire qu'elles n'en approchent même pas. — Sont-elles plus résistantes, au moins? Pas davantage ; plus utiles, plus grosses? Non et toujours non. D'où vient donc leur valeur? Elle est toute de convention. Moins belles que d'autres, car nous en trouvons de plus diaphanes et d'un blanc plus brillant ; n'ayant d'ailleurs pas plus de solidité ni d'utilité, quelle raison les fait tant estimer? La mode, rien que la mode. — Alors, pourquoi Dieu nous les a-t-il données? Elles n'étaient pas un don, dans la pensée de Dieu; c'est votre imagination qui leur prête une valeur ! — Mais pourquoi, direz-vous, l'Ecriture même les a-t-elle célébrées? C'est qu'elle a voulu parler d'après votre opinion même. Quand un maître s'adresse à un petit enfant, force lui est d'admirer ce qu'admire cet innocent, pour gagner son coeur et l'élever peu à peu. Pourquoi désirez-vous la magnificence des vêtements? Donnez une robe à votre corps, et des chaussures à vos pieds ; et tenez-vous pour vêtu et paré suffisamment. — Mais, dites-vous, l'Ecriture parlant des commandements de Dieu, dit qu'ils sont plus « estimables que l'or et les pierres précieuses » . (Ps. VIII, 11.) Cela n'empêche pas que ces pierres précieuses ne soient des choses inutiles; autrement, la sainte Ecriture n'aurait pas commandé de les mépriser. Si parfois nos saints livres en parlent d'après notre estimation, n'y voyez qu'une condescendance de la divine bonté.
Vous me demandez pourquoi Dieu nous a donné la pourpre et d'autres ornements pareils? Reconnaissez-y les oeuvres de sa magnificence infinie; d'autres ouvrages de sa main témoigneraient ainsi de son incomparable richesse. Quand la Providence travaillait pour vous, elle vous donnait le pur et simple froment; c'est vous qui avez imaginé de le dénaturer, par mille préparations, en gâteaux, en friandises, en mets à l'infini qui flattent uniquement la sensualité. Le plaisir et la vanité ont fait ces inventions qui vous ont paru préférables à tout au monde. Mais vienne à passer un étranger ou un paysan ignorant de tous vos artifices; et que vous voyant extasiés devant vos oeuvres, il vous demande raison de voire admiration ridicule, dites, qu'aurez-vous à lui répondre? Que ces mets sont bien beaux voir? Rien n'est plus faux.
Laissons donc, mes frères, de vains préjugés, et attachons-nous aux seuls biens véritables. Ceux de la terre ne méritent point ce nom; ils passent, ainsi que coule l'eau d'un fleuve. Donc, je vous en prie, établissons-nous sur le roc afin de n'être point ballotés au caprice des vents, mais de gagner en outre les biens futurs, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ...... Ainsi soit-il.