3.
Il y a donc ici un double honneur Dieu nous a donné; Dieu nous a rendus dignes de recevoir le don. L'apôtre n'a pas dit seulement. «Qui nous a donné »; il a dit : Qui nous a rendus aptes et propres à « prendre notre part dans l'héritage de lumière, échu aux saints ». Cela veut dire qu'il nous a mis au rang des saints. Mais ce n'est pas tout; cela veut dire aussi qu'il nous a fait jouir des mêmes biens qu'eux. Car la part de l'héritage, c'est ce que chacun des cohéritiers reçoit. Il petit arriver en effet qu'on fasse partie de la même cité, sans jouir des mêmes avantages. Mais avoir la même part et ne pas jouir des mêmes biens, voilà qui est impossible. Il peut arriver encore qu'on ait à partager un même lot, mais que ce même lot ne soit pas également partagé. Exemple : nous sommes tous copartageants d'un même héritage; mais la part de chacun de nous n'est pas la même. Mais ce n'est pas là ce que dit l'apôtre. Nous avons, dit-il, la même part au même héritage. Pourquoi ces mots de lot et d'héritage? C'est pour montrer que nul homme ne doit à ses bonnes actions et à sa justice le royaume des cieux. Cet héritage est, pour ainsi dire, une bonne aubaine qui nous arrive. Nul homme, en effet, n'arrange assez bien sa vie pour être trouvé digne du royaume des cieux; cet héritage est un pur bienfait de Dieu. C'est pourquoi il est dit: « Quand vous aurez fait tout ce qu'il faut»; dites: « Nous sommes des serviteurs inutiles; car nous n'avons fait que ce que nous devions faire ». (Luc, XVII, 10.)
« Notre part dans l'héritage de lumière échu aux saints »; c'est-à-dire « dans la connaissance de Dieu». Il parle là, ce me semble, du présent et de l'avenir. Puis il nous montre le prix du don que l'on a daigné nous faire. Ce qu'il y a d'étonnant, en effet, ce n'est pas seulement qu'on nous ait jugés dignes d'un royaume; il faut encore penser à ce que nous étions, car cela fait beaucoup. « C'est à peine, en effet, si quelqu'un voudrait mourir pour un juste; peut-être néanmoins quel« qu'un aurait-il le courage de mourir pour un homme de bien». (Rom. V, 7.)
« Qui nous a arrachés à la puissance des ténèbres », dit l'apôtre. Tous ces bienfaits, c'est à Dieu que nous les devons; car le bien ne vient jamais de nous. «A la puissance des ténèbres», dit-il, c'est-à-dire à l'erreur, à la tyrannie du démon. Il n'a pas dit seulement Aux ténèbres; mais: A leur puissance. C'est que le démon avait sur nous un grand pouvoir, un pouvoir tyrannique. C'est un grand malheur déjà que d'être soumis à l'influence du démon; mais c'est un malheur plus grand encore que d'être soumis à sa puissance. « Et nous a fait passer», ajoute l'apôtre, dans le royaume de son Fils bien-aimé». Il ne suffit pas à Dieu de montrer sa tendresse pour nous, en nous délivrant des ténèbres. C'était déjà beaucoup; mais nous introduire dans son royaume est bien plus encore. Voyez comme il a su multiplier ses dons. Nous étions dans l'abîme; il nous en a délivrés, et non content de nous en délivrer, il nous a fait passer dans son royaume.
« Qui nous a arrachés ». Il ne dit pas: « Qui nous a soustraits »; mais: « Qui nous a arrachés », pour montrer toute la grandeur de notre affliction et de notre misère, et toute la pesanteur de ces chaînes. Puis, pour faire voir combien tout est facile à la puissance de Dieu, (112) il dit: « Il nous a fait passer » dans le royaume, comme on fait passer des soldats d'un lieu dans un autre. Il n'a pas dit: Il nous a « conduits », il nous a « placés », car alors nous n'y serions pour rien. Il « nous a fait passer », dit-il, ce qui montre que l'homme aussi y a mis du sien. «Dans le royaume de son Fils bien-aimé». Il n'a pas dit : Dans le royaume des cieux; il a donné plus d'éclat et de poids à son expression, en disant: « Dans le royaume de son Fils». Quoi de plus flatteur pour l'homme? Ailleurs, du reste, il dit aussi : « Si nous persévérons, nous régnerons avec lui ». (II Timothée, II, 12). Il a daigné nous faire le même honneur, qu'à son Fils. Et l'apôtre ne se contente pas de dire : « De son Fils »; il dit : «De son Fils bien-aimé ». A cette épithète il joint les titres naturels de ce Fils: « Qui est l'image du Dieu invisible ». Mais il n'aborde pas tout aussitôt ce chapitre. Il parle d'abord du grand bienfait de Dieu. — De peur qu'on ne s'imagine que ce bienfait tout entier vient du Père, et que le Fils n'y est pour rien, il l'attribua dans son entier au Père et dans son entier au Fils. Le Père nous a fait entrer dans le royaume du Fils; mais le Fils nous a mis en état d'y entrer. Que dit l'apôtre en effet? « Qui nous a arrachés au pouvoir des ténèbres». Expression qui se lie intimement à celle-ci : « Par le sang duquel nous avons été rachetés et avons obtenu la rémission de nos péchés». Voici le mot par lequel, par le sang duquel » qui revient ici. Et il parle d'une rédemption pleine et entière qui doit nous empêcher de faillir et de redevenir mortel.
« Qui est l'image du Dieu invisible, et qui est né avant toutes les créatures ». Nous tombons ici sur des mots qui ont donné naissance à une hérésie. Nous différons donc notre explication et demain nous satisferons, sur ce point, votre curiosité. Mais s'il faut dire ici quelque chose de plus, avouons que l'oeuvre du Fils est la plus grande. Comment cela? C'est qu'en restant au milieu des liens du péché, nous ne pouvions entrer dans son royaume; en nous délivrant, il nous en a facilité l'entrée, et ce sont ses bienfaits qui nous en ont frayé le chemin. Que dis-je? En nous remettant nos péchés, il nous y a amenés. Voilà dès à présent un dogme bien établi.