1.
Pourquoi cette seconde lettre à Timothée ? L'apôtre avait dit : « J'espère aller vous trouver «bientôt». (l Tim. III, 14.) C'est qu'il ne put le faire. Il le console donc par ses lettres, ne pouvant pas le consoler par sa présence. Timothée était peut-être affligé de l'absence de son maître, et aussi de ce qu'il lui avait fallu se charger du gouvernement des âmes. Si grand et si capable que l'on soit, dès qu'on met la main au timon pour gouverner le vaisseau de l'Église, on éprouve un embarras étrange à la vue des difficultés qui se soulèvent de toutes parts comme les flots de la mer. Il devait surtout en être ainsi alors que l'on n'était qu'au début de la prédication, alors que tout était encore à faire, alors que l'on ne rencontrait qu'hostilités et périls. Ce n'est pas tout, les hérésies commençaient à se montrer, produites par les docteurs du judaïsme; saint Paul le dit : expressément dans sa première épître. Ici il -ne console pas seulement son disciple par sa lettre, mais encore il l'appelle près de lui « Hâtez-vous », lui dit-il, « devenir me trouver promptement » ; et : « En venant, apportez mes livres et surtout mes papiers». (II Tim. IV, 8, 13.) Je crois qu'il a écrit cette lettre vers la fin de sa vie: «Je suis», dit-il, «comme une victime qui a déjà reçu l'aspersion »; et encore : « Dès la première fois que j'ai défendu ma cause, personne ne m'a assisté ». (II Tim. IV, 6, 16.) Mais il trouve un remède à tout cela, et c'est de ses épreuves elles-mêmes qu'il tire la consolation, et il dit : « Paul, apôtre de Jésus-Christ par la volonté de Dieu, selon la promesse de la vie qui est en Jésus-Christ». Dès les premiers mots de sa lettre il relève l'âme de son disciple. C'est comme s'il disait: Ne me parlez pas des dangers d'ici-bas; ils ne font (352) que nous procurer la vie éternelle qui ne connaît pas les maux, d'où sont bannis la peine, le chagrin et les larmes. Dieu ne nous a pas faits apôtres seulement afin que nous courions des dangers, mais afin que nous mourions après avoir souffert. Raconter ses maux tout au long, t'eût été ajouter au chagrin de Timothée, loin de le consoler; aussi commence-t-il sa lettre par des paroles de consolation : « Selon la promesse de vie qui est en Jésus-Christ ».
Puisqu'il s'agit d'une promesse de vie, attendez-en l'effet non ici-bas, mais pour plus tard. «Une espérance qui se verrait ne serait plus une espérance ». (Rom. VIII, 24.) — « A Timothée, son fils bien-aimé ». Non-seulement « à son fils » mais « à son fils bien-aimé ». On peut être un fils et n'être pas un fils bien-aimé. Mais tel n'est pas Timothée, et Paul ne l'appelle pas seulement son fils, mais son fils bien-aimé. Aux Galates aussi il donne le nom de fils, et néanmoins il s'afflige sur leur compte. «Mes petits enfants », leur dit-il, « que j'enfante de nouveau ». (Galat. IV, 19.) L'apôtre rend donc un grand témoignage à la vertu de Timothée en l'appelant son bien-aimé. C'est que la tendresse, lorsqu'elle ne vient pas de la nature, vient de la vertu. Ceux qui nous doivent la vie ne sont pas seulement nos bien-aimés par leur vertu, mais encore par l'impulsion de la nature. Mais nos fils selon la foi ne sont pas nos bien-aimés autrement que par la vertu. D'où pourrait venir en effet notre tendresse pour eux ailleurs que de là? Cela est surtout vrai de saint Paul qui ne faisait rien par pure inclination. Ce mot, « mon fils bien-aimé », montre encore que si saint Paul n'a pas été voir son disciple, ce n'est pas qu'il soit fâché contre lui, ni qu'il le méprise, ni qu'il le blâme.
«Grâce, miséricorde, paix de la part de Dieu et de la part de Jésus-Christ Notre-Seigneur». C'est le même souhait qu'il avait déjà fait auparavant. Ces mots l'excusent de ce qu'il n'est pas venu voir Timothée. Car en lui disant dans sa première lettre (I Tim. IV, 13 et III, 14), « en attendant que je vienne», et: « Je me hâte d’aller à vous promptement», il lui avait donné l'assurance qu'il viendrait bientôt. C'est donc à ce sujet qu'il s'excuse tout d'abord. Quant à la cause qui l'a empêché de partir, il ne l'indique pas aussitôt pour ne pas trop affliger Timothée : cette cause, c'était qu'il était retenu captif par César. Il ne l'a dit qu'à la fin de sa lettre lorsqu'il appelle son disciple auprès de lui. Il se garde de l'affliger dès le début, il lui laisse même espérer qu'il le verra. « Je désire vous voir », dit-il en commençant, et il dit en finissant : « Hâtez-vous de venir vers moi a promptement». Dès le début donc il le relève de sa profonde tristesse, et il continue par des compliments. « Je rends grâces à Dieu que je sers depuis mes ancêtres avec une conscience pure, de ce que sans cesse je fais mémoire de vous dans mes prières de nuit et de jour, désirant de vous voir, me souvenant de vos larmes, afin que je sois rempli de joie».
Je rends grâces à Dieu de ce que je me souviens de vous, dit-il, tant je vous aime, C'est aimer extrêmement que d'aimer jusqu'à se faire honneur de son amitié. — «Je rends grâces», dit-il, «au Dieu que je sers». Comment? « Avec une conscience pure depuis mes ancêtres». Sa conscience était toujours restée sans atteinte. Il veut parler ici de sa vie; chez lui le terme de conscience se dit toujours de la vie bonne ou mauvaise. Ou bien encore il veut dire : Nul motif humain ne m'a jamais fait trahir rien de ce que j'ai regardé et désiré comme un bien, même lorsque j'étais persécuteur. C'est dans le même sens qu'il dit: «Mais j'ai obtenu miséricorde parce que j'ai agi en état d'ignorance et d'incrédulité», (I Tim. I,13.) C'est presque dire: Ne soupçonnez rien de malicieux dans ma conduite: grande recommandation pour son caractère, et quine permettra pas qu'on se défie le moindrement de son amitié. C'est comme s'il disait: Je ne mens pas, je ne suis pas autrement que je ne dis. Il fait ici son propre éloge parce qu'il y est forcé, comme quelque part dans le livre des Actes. Comme on l'accusait d'être un factieux et un novateur, il parle ainsi : « Et Ananie me dit : le Dieu de nos pères t'a choisi d'avance pour connaître sa volonté, et pour voir le Juste, et entendre la voix de sa bouche, parce que tu seras son témoin devant tous les hommes, des choses que tu as vues et entendues ». (Act. II, 14.) De même ici c'est avec raison que, pour ne point passer pour un homme sans amitié comme sans conscience, il fait son propre éloge et qu'il dit: « Sans cesse je fais mémoire de vous», et non pas simplement, mais, «dans mes prières». C'est-à-dire, la prière est mon occupation, j'y consacre tout mon temps. Il le déclare en disant : La nuit et le jour j'invoquais Dieu à ce sujet, «je (353) désirais vous voir » : Voyez-vous quel ardent désir ! quel excès de tendresse l Voyez-vous aussi l'humilité de l'apôtre, qui s'excuse auprès de son disciple? Il montre ensuite qu'il n'agit pas sans raison ni au hasard; il l’a déjà montré, et il le montre encore ici, car il dit : « Me souvenant de vos larmes». Il est vraisemblable que, séparé de son ami, il pleurait; il gémissait plus qu'un enfant que l'on sépare de la mamelle de sa nourrice et que l'on sèvre de son lait. — «Afin que je sois comblé de joie; je désire vous voir ». Je ne me serais donc pas privé moi-même d'un tel plaisir. Quand je serais un être insensible, cruel, une bête féroce, le souvenir de vos larmes m'aurait encore fléchi. Mais je ne suis pas tel, au contraire, je sers Dieu avec une conscience pure. Bien des motifs donc me poussaient vers vous. Et alors il pleurait. Il énonce encore une autre raison qui emporte avec soi la consolation : «En me rappelant», dit-il, «votre foi qui est si sincère ».