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« C'est par la foi que Noé, divinement averti... » L'apôtre rappelle ici le fait dont le Fils de Dieu parle ainsi, à propos de son second avènement « Au temps de Noé, les hommes épousaient des femmes, et les femmes épousaient des maris ». (Luc, XVII, 27.) Voilà du reste un exemple que saint Paul choisit à dessein. Celui d'Enoch rappelait seulement un acte de foi, mais l'histoire de Noé montre à côté d'elle un fait d'incrédulité. La plus sûre manière de consoler et d'exciter celui qui vous écoute, c'est de lui montrer les vrais fidèles en possession du bonheur, et l'incrédule frappé d'un sort contraire. Mais pourquoi dit-il littéralement.: « Noé, par la foi, ayant reçu une réponse ?» Comprenez « prédiction » ; car réponse et prophétie sont synonymes dans l'Ecriture. Elle dit ailleurs : « Siméon avait reçu une réponse de l'Esprit-Saint » (Luc, II, 26) ; et Paul demande dans le même sens: « Que dit la réponse divine ? » (Rom. XI, 4.) Voyez, en passant, que le Saint-Esprit est Dieu : Dieu répond, mais l'Esprit Saint aussi et comme lui. Et pourquoi saint Paul a-t-il choisi ce mot pour Noé? Afin de montrer dans cette « réponse » une prophétie. — Ayant reçu réponse de ce qu'on ne voyait pas encore », c’est-à-dire, au sujet du déluge; par crainte et par précaution, « il construisit l'arche ». La raisonne lui suggérait point cette action. « Car les hommes épousaient des femmes, et les femmes des maris »; le ciel était serein, rien n'annonçait l'événement, et cependant Noé craignit; car, dit l'apôtre : « C'est par la foi que Noé, divinement averti et appréhendant ce qu'on ne voyait point encore, bâtit l'arche pour sauver sa famille ».
Que veulent dire les mots suivants : « Et en la bâtissant, il condamna le monde ? » — Qu'il le montra digne du supplice, puisque la vue de cette construction ne put porter les hommes ni à s'amender, ni même à se repentir, « et il devint héritier de la justice qui naît de la foi », comprenez : Parce qu'il crut à Dieu, il se montra,juste et saint. Car cela est comme naturel à un cœur quai aime Dieu franchement et qui regarde par là même ses paroles comme tout ce qu'il y a de plus croyable au monde; l'incrédulité fait tout le contraire. Il est évident que la foi opère la justice. Or, comme nous avons, nous, la prophétie de l'enfer, ainsi Noé avait-il aussi sa prophétie. Mais on se moquait de lui, alors; on l'accablait de mépris et de railleries; mais il n'y prêtait aucune attention.
« C'est par la foi que celui qui reçut plus tard le nom d'Abraham, obéit, en s'en allant dans la terre qu'il devait recevoir en héritage ; c'est par la foi qu'il partit sans savoir même ou il allait; c'est par la foi qu'il demeura dans la terre qui lui avait été promise, comme dans une terre étrangère, habitant sous des tentés avec Isaac et Jacob, qui devaient être avec lui héritiers de cette promesse (8, et 9) ». Quel modèle, dites-moi, Abraham put-il voir et, imiter? Né d'un père idolâtre et gentil, n'ayant point entendu dé prophètes, il ne savait même où il allait. Volontiers les Hébreux devenus chrétiens avaient les yeux fixés sur ces patriarches, supposant qu'ils avaient , été comblés des biens de ce monde. Saint Paul montre qu'aucun d'eux n'a reçu la moindre chose, que tous furent absolument privés de ce genre de salaire ; que pas un ne trouva ici-bas sa récompense. Abraham, lui, sortit même de sa patrie et (548) de ses foyers, et sortit sans savoir où il allait. Et qui s'étonnera du sort fait au père, lorsque ses fils habitèrent le monde aux mêmes conditions que lui? Il ne vit pas s'accomplir la promesse, et toutefois ne se découragea point ; Dieu avait dit : « Je te donnerai cette terre, et à ta postérité ». (Gen. XII, 7.) Abraham vit son fils toutefois y habiter précairement ; le petit-fils à son tour séjourna sur une terre étrangère, sans se troubler davantage. Abraham, pour sa part, pouvait s'attendre à cette vie nomade, puisque la promesse, embrassant sa postérité, ne devait à la rigueur avoir sa réalisation que dans l'avenir. Encore est-il vrai de dire que la promesse s'adressait aussi à lui : « A toi et à ta postérité », disait-elle, non pas à toi dans la personne de tes enfants, mais à toi et à eux. Et toutefois ni lui, ni Isaac, ni Jacob ne recueillirent le fruit de cette promesse. Jacob servit comme mercenaire; Isaac dut subir plus d'un exil ; Abraham sortit de cette terre promise, d'où la crainte le chassait, il lui fallut recouvrer ses biens à main armée; et il eût, d'ailleurs, perdu tout ce qu'il avait, si Dieu ne l'eût secouru. Cela vous explique pourquoi saint Paul a dit : « Abraham, et ceux qui devaient être avec lui héritiers de la promesse » ; et il marque mieux encore cette communauté de leurs épreuves, en ajoutant : « Tous ces saints moururent dans la foi, sans avoir reçu les biens que Dieu leur avait promis ».
Deux questions se présentent naturellement à résoudre ici. Comment, après avoir dit que Dieu enleva Enoch, pour qu'il ne vit pas la mort, de sorte qu'on ne le trouva plus, l'apôtre ajoute-t-il ensuite : « Tous ces saints mouraient?» Second problème : « Sans recevoir l'effet des promesses », dit-il ; et cependant il déclare que Noé reçut comme récompense le salut de sa famille, qu'Enoch fut enlevé de ce monde, qu'Abel parle encore; qu'Abraham reçut une terre; ce qui ne l'empêche pas de conclure que tous ces saints moururent sans avoir reçu l'effet des promesses de Dieu. Quelle est donc la pensée de saint Paul ? Il faut résoudre ces questions l'une après l'autre. « Tous », dit-il, « sont morts dans leur foi » ; l'expression «tous », ici, n'est pas absolue dans ce sens que pas un n'ait échappé à la mort; elle signifie seulement, qu'à une exception près, tous en effet l'ont subie, tous ceux dont nous savons le trépas. Quant à la réflexion : « Sans avoir reçu « l'effet des promesses », elle est vraie de tout point ; la promesse faite à Noé, n'embrassait pas un lointain avenir.