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Si donc nous sommes tout célestes, si nous sommes montés à cette haute nature, tremblons, et ne faisons plus de cette terre notre demeure. Car dès qu'on le veut sincèrement aujourd'hui, on peut n'être plus sur la terre. Pour y être et n'y pas être à la fois, nous avons un moyen sûr, une méthode certaine. Par exemple : on dit que Dieu est dans le ciel ; comment ? Est-ce parce qu'il y est renfermé comme dans un lieu ? Arrière cette idée; mais sans que la terre soit déserte et privée de sa sublime présence, il garde une amitié, une familiarité, une union plus intime avec ses anges. Si donc nous sommes proches de Dieu, nous habitons le ciel. Eh ! que me fait en effet le ciel même, quand je contemple le Seigneur du ciel, quand moi-même je serai devenu le ciel? Or, dit Jésus-Christ, « nous viendrons, mon Père et moi, « et nous ferons en lui notre demeure ».
Ah! faisons de notre âme un ciel ! Le ciel, de sa nature, est si beau, si joyeux, que l'orage même ne peut l'assombrir; son aspect ne change pas en réalité ; les nuages amoncelés ne font que le cacher. Le ciel possède le soleil ; nous avons, nous aussi, le Soleil de justice.
J'ai dit qu'il nous est permis de devenir autant de cieux ; et je vois même que nous pouvons surpasser le ciel en beauté, en éclat. Et comment ? Dès que nous posséderons le Dieu du ciel. Le ciel, dans toutes ses parties, est put, sans tache ; ni la saison mauvaise, ni la nuit ne peuvent l'altérer. Pour éviter aussi de tristes vicissitudes, veillons à ne subir aucune atteinte des afflictions qui nous frappent ou des démons qui nous attaquent : restons purs et sans tache. Le ciel est élevé ; il est loin de la terre ; imitons cette perfection , séparons-nous de la terre, élevons-nous à cette hauteur; et comment ainsi quitter la terre? Par les pensées célestes. Le ciel est au-dessus des pluies (524) et des orages ; rien ne le captive. Nous pouvons y si nous voulons, arriver là; et comme il semble souffrir de ces tempêtes, tout en restant en effet impassible, ainsi sachons ne point pâtir, alors même que nous paraissons souffrants. En effet, dans la mauvaise saison, le vulgaire, ignorant la beauté inaltérable de ce dôme céleste, s'imagine qu'il subit des changements; les philosophes au contraire savent qu'il n'en a point souffert; ainsi la patience peut nous rendre immuables jusque dans les souffrances. Plusieurs nous croiront changés et supposeront que la douleur nous a touchés au cœur; mais les sages sauront qu'elle n'a pu nous frapper.
Encore une fois, devenons un ciel : montons à cette hauteur, et de là nous verrons les hommes tout pareils à de pauvres fourmis; et nous jugerons ainsi les pauvres comme les riches, les grands, l'empereur même; nous ne distinguerons plus ni souverain, ni sujet; nous ne saurons plus ce que c'est que l'or ou l'argent, la soie ou la pourpre. Assis à cette hauteur, nous verrons tout comme des moucherons; pour nous, plus de tumulte, de révolution, de clameur.
Mais comment, direz-vous, comment peut s'élever si haut un mortel qui habite ce bas monde ? Je laisse les paroles pour vous répondre par les faits, et vous montrer des hommes qui ont su arriver à cette sublime élévation. Qui sont-ils? Paul et ses disciples, qui même en habitant la terre; conversaient dans le ciel. Dans le ciel, que dis-je? Plus haut que le ciel, dans un autre ciel que celui-ci ; jusqu'à Dieu même ils montaient, ils arrivaient! « Qui nous séparera », s'écrie-t-il, « de l'amour de Jésus-Christ? Sera-ce la tribulation ou l'angoisse, la faim ou la persécution, la nudité, le danger, le glaive ? » (Rom. VIII, 35.) Et ailleurs : « Nous ne contemplons point désormais les choses visibles, mais les invisibles ». (II Cor. IV, 18.) Remarquez-vous qu'il n'avait plus de regard pour les choses d'ici-bas? Et pour vous prouver qu'il était plus élevé que les cieux, je vous citerai sa parole . « Je suis certain en effet que ta mort ni la vie, les choses présentes ni les futures, la hauteur ni la profondeur, qu'aucune créature enfin ne pourra nous séparer de l'amour de Jésus-Christ ».