3.
Que personne donc n'envisage la pauvreté comme une cause d'infamie et de déshonneur. Ayez la vertu, et toutes les richesses de la terre ne vous seront que de la boue, qu'un fétu de paille en comparaison. Embrassons la pauvreté, si nous voulons entrer dans le royaume des cieux : « Vendez », a dit Jésus, « vendez tout ce que vous avez et donnez-le aux pauvres, et vous aurez un trésor dans le ciel ». Et encore : « Il est difficile à un riche d'entrer dans le royaume des cieux ». (Matth. XIX, 21, 23.) Voyez-vous que si la pauvreté n'est pas déjà votre patrimoine, il faut tâcher de l'acquérir? tant elle est un bien inappréciable ! Oui, car elle vous mène comme par la main sur le chemin qui conduit au ciel ; elle est comme l'onction des athlètes, comme une gymnastique sublime et merveilleuse, comme un port tranquille. — Mais j'ai de grands besoins, dites-vous, et je ne veux rien recevoir gratuitement de personne. En cela le riche est encore bien plus à plaindre que vous. Peut-être, en effet, ne demandez-vous que le nécessaire; tandis qu'il a, lui, mille raisons honteuses de désirer la richesse, en particulier l'avarice. Les riches ont des besoins nombreux. Que dis-je, nombreux? Souvent ils manifestent des besoins indignes d'eux-mêmes; par exemple, il leur faut faire appel à des soldats, à des esclaves! Le pauvre, lui, n’a pas même besoin de l'empereur, et, pauvre de bon gré, eût-il besoin, il n'est que plus admirable de s'être réduit à l'indigence volontaire, pouvant être riche.
Non, que personne n'accuse la pauvreté d'être la cause de maux sans nombre; ce serait démentir Jésus-Christ qui la déclare, au contraire, la perfection de la vertu, quand il dit : « Si vous voulez être parfait ».... Il l'a proclamé par ses paroles, il l'a montré par ses exemples, il l'a enseigné par ses disciples. Encore une fois, embrassons la pauvreté : car elle est un grand bien pour les vrais sages. Peut-être déjà me comprend-on parmi mes chers auditeurs, et j'ose croire que plusieurs m'applaudissent. En effet, la grande maladie chez la plupart des hommes est là : telle est la tyrannie de cette passion de l'argent, qu'ils n'auraient pas même le courage de le refuser en paroles, et qu'il est pour eux comme une religion et un dieu. Loin de vous ce malheur, âmes chrétiennes! Sachez que rien n'est riche (532) comme celui qui volontairement et de grand coeur choisit la pauvreté. Est-ce possible? oui, et j'affirme même, si vous voulez, que celui qui choisit cette pauvreté volontaire est plus riche qu'un roi. Car celui-ci a de nombreux besoins, des ennuis, des craintes, par exemple, pour ses convois militaires qui peuvent manquer; celui-là, au contraire, jouit d'une quiétude parfaite, et loin d'éprouver mille craintes, n'en garde aucune. Or, dites-moi, quel est le vrai riche, de celui qui chaque jour est inquiet, qui pense, qui s'étudie à amasser encore et toujours, et qui craint de manquer un jour; ou de celui qui n'amasse rien, à qui tout suffit et abonde, qui n'éprouve aucun besoin, car la vertu et la crainte de Dieu, et non l'argent, donnent une sainte confiance? L'or possède même le privilège de vous asservir. « Les cadeaux et les présents », dit l'Ecriture, « aveuglent les yeux des sages; ils sont dans leurs bouches comme un frein qui empêche leurs arrêts et leurs réprimandes ». (Ecclés. XX, 31.)
Considérez comment Pierre, ce noble indigent, punit le riche Ananie. Car celui-ci n'était-il pas riche ; et celui-là, pauvre? Or, écoutez-le parlant avec autorité et disant : « Est-ce bien à tel prix que vous avez vendu votre champ? » et l'autre humblement. répond : « Oui, c'est à ce prix! » (Act. V, 10.) — Mais, dites-vous, qui me donnera d'arriver à la hauteur de Pierre? — Vous pouvez être aussi grand que Pierre, si vous voulez vous dépouiller de tout ce que vous avez. Semez, donnez aux pauvres, suivez Jésus, et vous serez un autre Pierre. — Mais comment? car (me dites-vous) il a fait des miracles. — Est-ce donc là, répondez-moi, ce qui a rendu cet apôtre admirable; et n'est-ce pas plutôt la pleine confiance qu'il a gagnée auprès de Dieu par la sainteté de sa vie? N'entendez-vous donc pas Jésus-Christ déclarer « Ne votas réjouissez pas de ce que les démons vous obéissent; si vous voulez être parfaits, vendez ce que vous avez et donnez-le aux pauvres, et vous aurez un trésor dans les cieux? » (Matth. XIX, 20.) Ecoutez ce que dit Pierre lui-même : « Je n'ai ni or ni argent; mais ce que j'ai, je te le donne »..(Act. III, 6.) Ceci, voyez-vous, on ne l'a point, quand on a l'or et l'argent. — Mais, répondez-vous , bien des gens n'ont ni le don de Pierre, ni ceux de la fortune! — C'est qu'ils ne sont pas pauvres de leur gré; car tout pauvre vraiment volontaire, possède tous lesbiens. Encore qu'il ne ressuscite point les morts, encore qu'il ne redresse point les boiteux, il possède, et ce don vaut mieux que ceux du thaumaturge, il possède la confiance en Dieu. De tels pauvres entendront au grand jour ce bienheureux arrêt « Venez, les bénis de mon Père ! (Se peut-il quelque chose de meilleur?) Possédez le royaume qui vous a été préparé dès la création du monde. Car j'ai eu faim, et vous m'avez donné à manger; j'ai eu soif, et vous m'avez donné à boire; j'étais étranger, et vous m'avez recueilli; j'étais nu, et vous m'avez habillé ; j'étais malade et en prison, et vous m'avez visité. Possédez le royaume qui vous a été préparé dès la création du monde ». (Matth. XXV, 34-36.) Fuyons donc l'avarice et la cupidité, pour gagner le royaume des cieux. Nourrissons les pauvres, afin de nourrir Jésus-Christ, et de devenir les cohéritiers de ce Sauveur Jésus, Notre-Seigneur, avec lequel soient au Père et au Saint-Esprit, gloire, puissance, honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.