XXII - PAUL LE SIMPLE
[1] Puis Cronius racontait encore ceci, ainsi que le saint Hiérax et plusieurs autres, à propos de ce que je vais dire, c'est que Paul, un paysan cultivateur, excessivement sans malice et simple, fut uni à une femme très belle, mais dépravée dans ses mœurs, laquelle lui cachait ses fautes pendant très longtemps. Donc, étant revenu soudain d'un champ, Paul les trouva faisant des choses honteuses, la Providence guidant Paul vers ce qui lui serait avantageux. Et s'étant mis à rire discrètement, il les apostrophe et dit : « Bien, bien. En vérité je n'en ai pas de souci. Par Jésus, je ne la prends plus. Va, garde-la ainsi que ses petits enfants, car moi je me retire, je me fais moine. » [2] Et n'ayant rien dit à personne, il se hâte de remonter les huit relais, s'en va vers le bienheureux Antoine et frappe à la porte. Etant donc sorti, il l'interroge : « Que veux-tu? » Il lui dit: « Je veux devenir moine. » Antoine répond et lui dit : « Homme vieux de soixante ans, tu ne peux devenir moine ici; mais va plutôt au village, travaille et vis une vie d'ouvrier, en rendant grâce à Dieu; car tu n'es pas capable de soutenir les tribulations du désert » Le vieillard répond de nouveau et dit : « Dans le cas où tu m'enseignes quelque chose, je le fais. » [3] Antoine lui dit : « Je t'ai dit que tu es vieux et que tu n'es plus capable. Va-t'en, si évidemment tu veux devenir moine, dans une communauté de frères plus nombreux, lesquels peuvent supporter ta faiblesse. Car moi je réside ici seul, mangeant au bout de cinq jours et cela par faim. » Par ces paroles et de semblables, il écartait Paul; et comme il ne le supportait pas, après avoir fermé la porte, Antoine ne sortit pas pendant trois jours à cause de lui. pas même pour ses besoins. Mais lui ne se retira point. [4] Or le quatrième jour, les besoins l'y forçant, ayant ouvert il sortit et lui dit de nouveau: « Va-t'en d'ici, vieillard. Pourquoi essaies-tu de la pression sur moi? Tu ne peux pas rester ici. » Paul lui dit : « Il m'est impossible de mourir ailleurs qu'ici. » Alors Antoine l'ayant considéré et ayant vu qu'il ne portait pas de quoi se nourrir, ni pain ni eau, et qu'il y avait quatre (jours) qu'il tenait bon à jeun :
« De peur qu'il ne meure, dit-il, et n'entaché mon âme », il l'admet. Et Antoine adopta en ces jours-là un régime comme jamais dans sa jeunesse. [5] Et ayant trempé des feuilles de palmier, il lui dit : « Prends, tresse de la corde tout comme moi. » Le vieillard en tresse jusqu'à none quinze brasses, et il se donna de la peine. Cela étant, Antoine, après avoir regardé, fut mécontent et lui dit : « Tu as mal tressé ; défais et tresse depuis le commencement. » Quoiqu'il fût à jeun et âgé, il lui imposa cette tâche dégoûtante, afin que le vieillard impatienté prît la fuite loin d'Antoine. Mais il défit et de nouveau tressa les mêmes feuilles, quoique ce fût plus difficile à manier, parce qu'elles étaient ridées. Or Antoine ne l'ayant vu ni murmurer, ni se décourager, ni s'indigner, fut touché de componction. [6] Et le soleil ayant baissé, il lui dit: « Veux-tu que nous mangions un fragment de pain?» Paul lui dit: « Comme il te plaît, abbé. » Et cela fléchit de nouveau Antoine, qu'il n'ait pas accouru avec ardeur à l'annonce de la nourriture, mais qu'il en ait rejeté sur lui la faculté. En conséquence, ayant mis la table, il apporte des pains. Et Antoine ayant posé les pains biscuités à raison de six onces chacun, il en trempa un pour soi. car ils étaient secs, et trois pour lui. Et Antoine entonne le psaume qu'il savait, et l'ayant psalmodié douze lois, il fit une prière douze fois, afin d'éprouver Paul. [7] Mais celui-ci de son côté s'unissait avec ardeur à la prière, car. à ce que je pense, il eût préféré paître des scorpions que de vivre avec une femme adultère. Cependant, après les douze prières, le soir étant avancé, ils s'assirent pour manger. Or Antoine, ayant mangé l'un des biscuits, ne toucha pas à un autre. Mais le vieillard, qui mangeait plus lentement, en était encore à son petit biscuit. Antoine attendait qu'il eût fini, et il lui dit : « Mange, petit père, encore un autre biscuit. » Paul lui dit : « Dans le cas où tu en manges, moi aussi ; mais toi ne mangeant pas, je ne mange pas. » Antoine lui dit : « Cela me suffit, car je suis moine. » [8] Paul lui dit : « Il me suffit également, car moi aussi je veux devenir moine. » Il s'éveille de nouveau et fait douze prières et psalmodie douze psaumes. Il dort un peu du premier sommeil, et de nouveau s'éveille pour psalmodier au milieu de la nuit jusqu'au jour. Alors, comme il voyait que le vieillard l'avait suivi avec ardeur dans son régime, il lui dit : « Si tu peux ainsi jour par jour, reste avec moi.» Paul lui dit: « En vérité, si parfois il arrive qu'il y ait quelque chose de plus, je ne sais pas ; car autrement, ce que j'ai vu, je le fais bien dextrement. » Antoine» lui dit le (jour) après : « Voici que tu es devenu moine ». [9] Donc Antoine, convaincu, au bout des mois convenus, qu'il est d'une âme parfaite, étant extrêmement simple, la grâce agissant avec lui, lui fait une cella environ à trois ou quatre milles et lui dit : « Voici que tu es devenu moine. Reste à part afin de recevoir aussi l'épreuve des démons. » Cela étant, Paul ayant habité un an, fut jugé digne d'une grâce contre des démons et des maladies. Entre autres, une fois fut amené à Antoine un démoniaque très effrayant jusqu'à l'excès, qui avait un esprit principal, et maudissait le ciel même. [10] Alors Antoine l'ayant examiné, dit à ceux qui l'avaient amené : « Celte besogne-ci n'est pas pour moi : car contre cet ordre principal, je n'ai pas encore été jugé digne d'un don; mais cela appartient à Paul. » Antoine étant donc parti les emmène vers Paul, et lui dit: « Abbé Paul, chasse ce démon de l'homme, afin qu'il s'en retourne en santé à ses propres affaires. » Paul lui dit: « Mais toi, quoi donc? » Antoine lui dit : « Je n'ai pas le loisir, j'ai d'autre ouvrage. » Et Antoine, l'ayant quitté, alla de nouveau dans sa propre cella. [11] Le vieillard s'étant donc levé et ayant récité une prière efficace, adresse la parole au démoniaque : « L'abbé Antoine a dit ceci : « Sors de l'homme. » Mais le démon cria avec des blasphèmes en disant : « Je ne sors pas, méchant vieillard. » Ayant alors pris sa mélote, il le frappait sur le dos en disant : « Sors, a dit l'abbé Antoine. » De nouveau le démon injurie plus violemment et Antoine et lui. Enfin il lui dit: «Tu sors, ou bien je m'en vais (et) le dis au Christ. Par Jésus, si tune sors pas déjà à l'instant même, je m'en vais (et) le dis au Christ, et il va te faire du mal. » [12] De nouveau le démon blasphémait, criant : « Je ne sors pas. » Alors Paul, s'étant indigné contre le démon, sortit hors de la chambre des hôtes, au fort même de midi. Or la chaleur des Egyptiens est parente de la fournaise de Babylonie. Et s'étant placé contre un rocher de la montagne, il se met en prière et parle ainsi : « Toi, Jésus-Christ, le crucifié sous Ponce-Pilate, tu vois qu'il n'est pas à craindre que je descende du rocher, que je mange ou que je boive jusqu'à ce que je meure, si tu ne chasses de l'homme l'esprit et n'en délivres l'homme. » Mais avant que les paroles fussent achevées dans sa bouche, le démon poussa un cri en disant : « O violence, je suis chassé. La simplicité de Paul me chasse, et où m'en aller? » Et sur-le-champ l'esprit sortit et fut changé en un dragon grand de soixante-dix coudées, en se traînant vers la mer Bouge, afin que fût accompli ce qui a été dit : « Le juste annoncera une foi qui se démontre » (Prov. 12,17). Tel est le miracle de Paul, qui fut surnommé le Simple par toute la communauté des frères.